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Rachid Ouramdane au Rive gauche : « ce sont des corps en résistance »

photo Jacques Hoepffner
photo Jacques Hoepffner
photo Jacques Hoepffner

Avant l’écriture de la pièce, il y a des rencontres avec des personnes qui ont dû fuir. Rachid Ouramdane est allé en Chine, a recueilli des témoignages poignants de réfugiés climatiques. Présentée mercredi 7 décembre au Rive gauche à Saint-Etienne-du-Rouvray, Sfumato, une pièce écrite avec l’auteur Sonia Chiambretto et le compositeur Jean-Baptiste Bertin, raconte à travers différents tableaux le parcours douloureux d’exilés, évoque l’impact psychologique sur chacun d’eux. Les sept danseurs évoluent dans des atmosphères brumeuses et luttent contre l’eau. Entretien avec le chorégraphe qui partage avec Yoann Bourgeois la direction du centre chorégraphique national de Grenoble.

 

Quatre ans après la création, comment lire aujourd’hui Sfumato ?

Le sujet de Sfumato reste le même. Ce sont les réfugiés climatiques. Aujourd’hui, ce problème n’a pas beaucoup évolué. La situation est toujours autant catastrophique. Il y a toujours à interpeler dans la nuance. Il ne faut pas parler des réfugiés au travers des sciences mais plutôt aborder l’impact humain. On est plus dans le sensible, dans l’affect. Les personnes que nous avons rencontrées en Chine n’ont aucune information sur le réchauffement climatique mais elles vivent un drame humain.

 

Sfumato est une nouvelle création sur les migrations.

J’ai mené plusieurs projets autour des migrants. C’est une obsession chez moi. J’essaie de partager l’expérience des gens qui arrivent d’ailleurs. Ils portent leur différence et nous font prendre conscience que nous sommes singuliers. Ce thème, je l’ai abordé dans Des Témoins ordinaires. C’est un fil rouge. Cela pose la question de la manière dont on laisse tout derrière soi, on vit ensemble, on est capable d’échanger avec quelqu’un venant d’un ailleurs.

 

 

Pourquoi votre approche est-elle documentaire ?

Je pars de rencontres. J’aime être dans une relation directe. Je m’entoure de plusieurs personnes. C’est la liberté dans le champ de l’art de s’autoriser ensuite la fiction. Les pièces sont des concentrés de réel. L’important, c’est la puissance fictionnelle. Je donne une caisse de résonnance aux propos des personnes que je rencontre.

 

Vous est-il déjà arrivé de vous laisser envahir par l’émotion ?

Je pars de l’émotion. Je vois ensuite ce que j’ai compris de ces rencontres. A chaque fois, l’expérience est différente. Pour Des Témoins ordinaires, je n’avais pas mesuré tout cela. J’avais des séances de débriefing. Je suis entouré de professionnels. Mais tout se passait de manière organique et je n’avais pas vu la chose venir. J’en avais perdu le sommeil. Ce fut une période complexe parce que ce travail a renvoyé à des récits familiaux. Mon père a été victime de torture.

 

Comment traduisez-vous cette émotion ?

Il y a ce qui est dit et ce qui n’est pas dit. J’essaie de dire ce que les mots ne disent pas toujours. Dans le spectacle, on peut voir des portraits de certaines personnes, leur expressivité qui est bien plus forte. Leur visage racontait tout parce que la parole était muselée. Je retiens ces choses, cette urgence, ces états de corps malmenés, ces pertes de repères. Sur scène, il y a une fragilité des corps, des séquences pendant lesquelles ils sont happés par les éléments. Ce sont des corps en lutte, en résistance.

 

  • Mercredi 7 décembre à 20h30 au Rive gauche à Saint-Etienne-du-Rouvray. Tarifs : de 25 à 15 €. Pour les étudiants : carte Culture. Réservation au 02 32 91 94 94.