Radouan Leflahi retrouve les « Fées » de David Bobée et Ronan Chéneau

Une nouvelle fois, Fées trouve un écho dans cette actualité chaotique. C’est ce qui définit un grand texte. Il traverse le temps sans jamais perdre de sa saveur, de son éclat et de son feu. David Bobée, directeur du CDN de Normandie Rouen, reprend Fées, une pièce de Ronan Chéneau. Il y a eu la création en 2004, une première reprise en 2010 avec une troupe russe, une seconde en 2016. Le metteur en scène en donne une version confinée avec une partie de la précédente distribution qui joue dans sa salle de bains. Radouan Leflahi retrouve ainsi le rôle de ce jeune homme enfermé dans sa salle de bains pour échapper aux troubles extérieurs. Des fées, plus ou moins bienveillantes, viennent lui rappeler les bruits assourdissants du monde, le repli identitaire, la peur de l’autre. Ce garçon attend une bonne raison pour sortir de son antre et veut juste être aimé et avoir les mêmes droits. « Ce que je suis est une insulte pour personne ». Ce Fées, entre théâtre et cinéma, en accès libre, garde cette esthétique forte, cette lumière crue et froide, tel le reflet d’un monde tourmenté. Entretien avec le comédien Radouan Leflahi.

Quel souvenir avez-vous de ce spectacle Fées ?

J’ai un beau souvenir de Fées. D’ailleurs, nous en parlons souvent entre nous. C’était chouette d’être ensemble. Aujourd’hui, nous aimerions le reprendre. Cela en dit long sur la réussite de ce spectacle. Il a suffi d’entendre à nouveau une musique pour se replonger dans son ambiance. On se rappelait qu’à tel moment tel acteur ou telle actrice disait ceci ou était en train de faire cela. 

Qu’aviez-vous acquis après cette série de représentations ?

Je crois que Fées m’a permis d’avancer à certains endroits en tant qu’acteur et individu. C’était la première fois que je tenais un rôle aussi long et majeur. Grâce à Fées, j’ai pu dépasser certaines frontières que le manque d’expérience m’imposait. Cela a été bien plus simple de reprendre ce texte aujourd’hui. J’ai grandi. Entre temps, beaucoup de choses se sont posées. Mon rapport au théâtre a beaucoup bougé. Il s’est déplacé.

Qu’est-ce qui a changé ?

Il y a eu une longue période. J’ai énormément travaillé. Pendant dix ans, je n’ai pas arrêté. J’ai enchaîné les créations, les tournées, les tournages. Je ressentais cette nécessité et ce besoin de travailler. L’année dernière, j’avais quatre projets en même temps. Sans compter les tournages. C’est beaucoup. Peut-être un peu trop. Je me suis souvenu d’une phrase de Thomas Germaine (comédien et réalisateur rouennais, ndlr). Il nous avait dit : le théâtre, ce n’est pas la vie. Aujourd’hui, je partage son point de vue. Le théâtre, c’est un semblant de vie, un rêve ou un cauchemar de vie. C’est une idée, une pensée mais ce n’est pas la vie. Aujourd’hui, j’ai envie d’être sur scène. J’ai aussi besoin de vivre, de ce temps pour me ressourcer, de regarder. Tout cela doit m’apporter et apporter quelque chose quand je joue.

La reprise de Fées s’est déroulée dans des conditions particulières, en plein confinement. Vous avez joué seul dans votre salle de bains. Où était la difficulté ?

Nous avons joué ce spectacle il y a quatre ans. Nous avons réappris le texte très rapidement et eu peu de temps pour répéter. Nous étions sur nos ordinateurs ou nos téléphones et cela durait une vingtaine de minutes. C’était étrange parce que le théâtre suppose une rencontre physique entre les acteurs, le metteur en scène, la technique et le public. Notamment pour le monologue de la fin, je m’appuie sur eux. J’ai besoin d’eux. Là, je parlais à mon téléphone et je voyais ma tronche sur l’écran.

Dans Fées, vous jouez le rôle d’un jeune homme qui intériorise beaucoup. Est-ce que la salle de bains, souvent un petit lieu, n’était pas le lieu idéal ?

C’était étrange. Il a tout d’abord fallu trouver le cadre, puis la physicalité. Là, elle a été restreinte. J’avais très peu de place pour me mouvoir. Comme au cinéma, on a 40 centimètres pour bouger. Il m’est aussi arrivé de jouer avec le téléphone à bout de bras. C’était difficile parce que je ne pensais qu’à ça et non au jeu. Sauf pour la dernière scène, j’étais dans un cadre plus libre et j’ai totalement oublié la caméra. J’aurais cependant préféré jouer tous les sept dans la même salle de bains.

Que retenez-vous de cette expérience singulière ?

Ce fut une chouette expérience mais j’espère qu’elle ne deviendra jamais une normalité. Ce fut une solution pour retrouver le théâtre. Ce confinement aurait cependant permis de se rendre compte de la place primordiale que tient la culture dans la vie de tout le monde. Il n’y a jamais eu autant de théâtre et de danse à la télévision. Les gens ont regardé des films, lu des livres. Ce fut essentiel pour notre santé physique et mentale. Le texte de Fées dit tout cela.

pour voir Fées, cliquez sur l’image !

Retrouver l’article de Relikto écrit lors de la création

D’après Fées de Ronan Chéneau
Mise en scène David Bobée
Les scènes ont été répétées par visioconférences et filmées au téléphone portable par les acteurs et actrices pendant la période de confinement due à la pandémie du Covid-19.

Avec par ordre d’apparition Radouan Leflahi, Nadège Cathelineau, Djamil Mohamed, Victor Ovigne, Clémence Ardoin, Olive Malleville, Aïssam Medhem | Montage vidéo Wojtek Doroszuk | Création sonore et mixage Jean-Noël Françoise | Vidéo chorégraphique XiaoYi Liu | Logistique Sophie Colleu | Production Philippe Chamaux
Équipe de la création d’origine Stéphane Babi Aubert, Frédéric Deslias et José Gherrak