Rodolphe Burger : « En musique, rien n’est enraciné »

photo : Ben PI

Rodolphe Burger ne s’interdit rien. Les rencontres sont autant de périples sur une carte musicale qui ne cesse de s’étendre. Le fondateur de Kat Onoma et du festival, C’est dans la vallée, à Sainte-Marie-aux-Mines dans le Haut-Rhin, traverse les genres pour explorer des espaces inattendus, généreux, vibrants. Comme Environs, un album sorti en juin 2020, ou encore Glück Auf !, à paraître en août 2021 qui marque des retrouvailles avec Erik Marchand et Mehdi Haddad. Rodolphe Burger, artiste associé à la programmation de Rush 2018, revient au 106 à Rouen mardi 6 juillet. Il est l’invité de Stephan Eicher pour cette première escale de son Radeau des Inutiles. Entretien.

En raison des conditions météorologiques, le Radeau des Inutiles de Stephan Eicher ne sera pas installé sur la presqu’île Rollet mais au 106. Quel souvenir avez-vous de cet endroit et de cette édition de Rush ?

J’ai de très bons souvenirs. C’est un privilège rare de programmer un festival. Avec C’est dans la vallée, je suis aussi organisateur. Il y a moins le côté gratifiant. Rush a une formule originale : faire appel à un artiste. Le site est beau. J’ai le souvenir des concerts, de l’ambiance générale. Il reste un festival qui n’est pas encore suffisamment connu.

Avec Le Radeau des Inutiles, vous retrouvez aussi Stephan Eicher.

C’est encore un principe d’invitation et d’hybridation. Avec Stephan Eicher, on se croise depuis longtemps. Il y a eu au centre culturel suisse à Paris autour de Psychopharmaka, un album germanique. Je l’ai invité dans mon festival. J’ai aussi vécu à Bâle. Avec Stephan, il y a plein d’atomes crochus. Je me souviens dans les années 1980, quand il est apparu, c’était salutaire. Il venait d’un endroit très européen. Il mélangeait les langues : l’allemand, l’anglais, le français. Et tout ça avec une musique très moderne. Il nous montrait que c’était possible et je trouvais cela formidable.

Sur l’album, Glück Auf !, vous reprenez Eisbär de Grauzone, le groupe de Stephan Eicher.

Dans ce disque, il est dans une version différente avec un chanteur traditionnel breton. Eisbär a été un mini-tube electro pop. Avec Stephan, nous l’avons joué ensemble à Sainte-Marie. Je le joue régulièrement. Il a ses fans. La dernière fois, à Reims, devant des étudiants, tout le monde s’est mis à danser.

Les reprises représentent une part importante de votre travail. Est-ce seulement des hommages ?

Il y a plein de façons de faire des reprises et je n’ai pas toujours la même attitude. Avec Kat Onoma, il y avait une façon de rendre hommage et aussi de marquer une identité. C’est une interprétation, une manière d’éclairer le morceau, une signature du groupe. J’ai repris Kraftwerk avec des guitares, c’est presque un blasphème. Sur le Velvet Underground, j’ai repris les morceaux avec une chaleur qui était un peu absente. Il y a là aussi quelque chose de blasphématoire. Je choisis des répertoires dont je me sens proche. J’ai beaucoup de plaisir à m’immerger dedans. Je joue avec le souvenir de quelque chose. 

Avec Glück Auf !, il y a d’autres retrouvailles, celles avec Erik Marchand, quinze ans après Before Bach.

C’est formidable quand les retrouvailles peuvent se produire. Il y a parfois des rencontres sans lendemain. Avec Erik Marchand, tout est parti d’un concert. Il était là et nous avons joué un morceau ensemble. Ce qui a débouché sur une commande, puis une création. Il y a deux ans, nous avons rejoué ensemble et eu envie d’écrire un deuxième chapitre à cette histoire avec un approfondissement de ce qui a été fait. Nous avons eu d’autres expériences musicales qui ont nourri ce travail. Erik chante encore mieux. J’aime bien aussi cette idée. J’adorerais refaire un travail avec James Blood Ulmer.

Votre précédent album a pour titre, Environs, un mot auquel vous donnez plusieurs sens. Notamment une conjugaison du verbe envirer. Est-ce la définition de l’écrire ou composer ?

Oui, à condition de ne pas tourner en rond. Envirer est tourner sur soi-même jusqu’à l’ivresse. La musique est dans la danse, dans la transe. C’est un mouvement répété qui produit un envol, un transport, une élévation. Avant de les sortir, les morceaux, on les tourne. On les répète. On les reprend en vue de quelque chose.

Il y a aussi une notion de géographie dans Environs. Où vous situez-vous sur votre carte musicale ?

Par essence, la musique procède d’un mouvement de déracinement. On s’arrache à la fixité. Néanmoins, cela n’empêche pas d’être lié à un endroit. J’ai d’ailleurs un rapport aux lieux assez forts. En tant que musiciens, nous sommes amenés à bouger beaucoup. Ce titre, Environs, est une bonne idée de mon fils. Dans tous les disques, il y a toujours une carte, un plan, un schéma, cette idée de territoire. Pour la première fois, la carte apparaît. Le lieu, c’est la vallée, l’endroit où je travaille qui est un peu de côté. C’est ce studio qui est un vaisseau spatial. Il fonctionne parce qu’on s’y retrouve.  Il est propice au travail. En musique, rien n’est enraciné.

Existe-t-il un point de convergence sur cette carte ? Pourrait-il être le blues ?

Peut-être, c’est possible. Ce serait alors un blues très élargi. Tout est dans la pratique musicale. En effet, il y a quelque chose qui s’apparente au blues, qui est dans le sentiment, dans une façon de se l’approprier, de l’attaquer. Ce n’est pas un truc appliqué mais très vivant. Là, c’est un point de convergence. Erik Marchand qui vient de la musique modale et moi, avec le rock, plus harmonique, le blues est un point de convergence. Je pense à Ali Farka Touré. Ce qui est extraordinaire avec lui, c’est qu’il est allé à la recherche de cette fameuse note bleue. C’est quoi cette chose bleue qui est dans un entre-deux, entre majeur et mineur…

Qu’est-ce qui vous emmène dans des endroits communs lors de vos collaborations ?

Nous ne connaissons pas tous les secrets. Erik Marchand est dans la musique savante et non-savante et dans un travail de transmission. Des musiciens comme Mehdi Haddad ont un domaine de compétence très vaste. C’est pour cela que la rencontre est possible. Ils ont aussi la curiosité de ce qui n’est pas leur domaine, une envie de s’en approcher et d’aller à l’aventure. Pour cela, il ne faut pas avoir peur des autres. Et cela s’apprend. Peut-être y a-t-il un sixième sens, une intuition qui nous permettent de dire que cela va être possible. Multiplier les expériences et les rencontres renvoie à une image de touche à tout. Comme si je pouvais faire n’importe quoi. Ce n’est pas le cas. Tout est toujours très précis. Pour moi, ce n’est pas une question de genre musical mais de personne. Cela suppose une humilité, des expériences.. La rencontre, c’est un art humain.

Votre instrument, la guitare, permet-elle cette rencontre ?

C’est un instrument qui s’y prête bien. On peut jouer d’un quart de ton, enlever une corde, accorder différemment… Une guitare, cela se traficote, se plie… C’est pour cela que je cherche. Comme les bluesmen.

La programmation

  • Mardi 6 juillet à 19h30 : Stephan Eicher et Rodolphe Burger
  • Mercredi 7 juillet à 19h30 : Stephan Eicher et Hania Rani
  • Jeudi 8 juillet à 19h30 : Stephan Eicher et Raphaël
  • Vendredi 9 juillet à 20 heures : Stephan Eicher et Retriever
  • Samedi 10 juillet à 20 heures : Stephan Eicher et Birds on a wire

Infos pratiques

  • Concerts au 106 à Rouen
  • Tarifs : de 28,50 à 15 €
  • Réservation au 02 32 10 88 60 ou sur www.les106.com
  • photo : Ben Pi