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# 17 / Samuel Churin : « Si le gouvernement ne fait rien, c’est la moitié des intermittents qui va disparaître »

Samuel Churin, coiffé d'un chapeau, a joué dans "Nathan Le Sage", programmé au Rive gauche la saison dernière

Des coups de gueule, il en a poussés un grand nombre. Et ce, pour alerter sur la situation fragile des personnes avec des revenus discontinus. Samuel Churin, comédien engagé au sein de la Coordination des intermittents et précaires, connaît le statut de l’intermittence par cœur et le défend avec force. Il scrute les faux pas, les entourloupes des politiques et les dénonce avec la même énergie. Depuis 2003, date à laquelle les fameuses annexes VIII et X de l’assurance-chômage, concernant les techniciens et les artistes, avaient fait l’objet d’un nouvel accord, le comédien, originaire de l’Orne, ne lâche rien avec le même talent qu’il a sur scène. État des lieux avec Samuel Churin six semaines après la fermeture des structures culturelles.

Comment qualifiez-vous la situation dans le secteur culturel aujourd’hui ?

Même si ce mot est galvaudé, elle est tragique. Les projections sont alarmantes. Si le gouvernement ne fait rien, c’est la moitié des intermittents qui va disparaître. Pour le spectacle vivant, la fin du confinement n’a aucun sens puisque nous ne pouvons pas bosser. Certains disent que ce ne sera pas avant le 1er janvier 2021. Nous travaillons au projet sur une concentration de dates. Quand nous ne sommes pas sur scène, nous travaillons pour que ce projet existe. C’est pareil pour les saisonniers, les personnes qui travaillent dans les festivals. Ils n’ont pas de revenu et ne peuvent pas cumuler des heures pour avoir accès au chômage. De plus, les spectacles, prévus à Avignon, ne peuvent être vendus, ce sont des heures de travail en moins pour les années à venir.

Le festival d’Avignon est-il un passage obligé ?

Cela dépend des compagnies et de leur économie. Une compagnie de Rouen, bien implantée sur son territoire, a son réseau local, a des subventions, fait de l’action culturelle et monte un projet tous les 18 mois environ. Si elle veut sortir de la région, avoir une plus grande visibilité, elle devra passer par Avignon. C’est un passage obligé pour vendre des représentations. Les programmateurs sont là-bas et font leur marché. Pour beaucoup de compagnies, le festival est une vraie nécessité.

Quelles conséquences pour les artistes ?

C’est une déflagration. Olivier Py (directeur du festival d’Avignon, ndlr) a proposé à certaines compagnies d’être reprogrammées. L’année prochaine, elles vont prendre la place de celles qui ont de nouveaux projets et qui auraient pu être programmées. Pour toutes ces créations en répétition, il va falloir trouver des créneaux. Les conséquences vont être énormes. Plus on tarde à prendre des décisions, plus cette bombe à retardement va être dangereuse. C’est logique de laisser la place à des productions qui étaient programmées et n’ont pas pu jouer. Mais cela va être compliqué pour les autres. C’est un coup de billard à dix bandes.

« Ça va être un massacre les semaines à venir »

Que pensez-vous des mesures prises jusqu’alors par le ministre de la Culture, Franck Riester ?

Elles ne servent à rien. La personne qui a sa date de renouvellement par exemple le 1er avril la voit repousser au 31 mai. Dans cet intervalle de temps, elle garde son taux et cela lui ouvre des droits pour une année supplémentaire. Or, pendant le confinement, elle n’a pas eu de contrat et n’a pas pu cumuler des heures. Donc, c’est l’arnaque. Les heures qui n’ont pas été faites ne seront jamais faites. Là, l’assurance chômage va faire des économies sur le dos des plus précaires puisque l’activité est réduite. Cela peut représenter 4 milliards d’euros ! La solution, l’unique et la seule : c’est renouveler sur la base du taux précédent pendant une année. Ça va être un massacre les semaines à venir. Beaucoup vont basculer au RSA. Il va y avoir une augmentation du nombre de pauvres. Depuis la présidence de Hollande, on baisse les charges et les marges des employeurs augmentent. Tout comme leur dividende. La variable d’ajustement, c’est l’humain.

Vous faites souvent référence au Conseil national de la Résistance. Pourquoi ?

Cela peut apparaitre un peu comme poussiéreux mais ce n’est pas étonnant que l’on y revienne. Il y a un grand nombre de liens que l’on peut faire. Tout d’abord, Macron a parlé de guerre dans son discours. L’économie est aussi bloquée. Il y a soixante-dix ans, on a agi en deux temps et c’est une bonne méthode. Il y a eu des mesures immédiates d’urgence pour que tout le monde ait de quoi manger. Aujourd’hui, on donne des primes mais cela ne donne pas de droits. Le CNR a ensuite travaillé sur l’après. Croizat, ministre du travail, a mis en place un système social. Il invente le régime général et le principe des retraites. Ce qui est important : les droits sont attachés à la personne et non à un emploi. C’est ce qu’il faut retrouver. 

Comment avez-vous réagi lorsqu’ Emmanuel Macron a évoqué Les Jours heureux lors de son discours ?

Cela m’a fait rire. Je me suis dit : même lui se met à faire des références au CNR, ce n’est pas possible. Dans son premier discours, il a quasiment cité Croizat et évoqué les vertus de l’état providence.

Qu’attendez-vous désormais du ministre de la Culture ?

Il est cramé. Il n’a pas les arbitrages pour faire quoi que ce soit. Il faut accompagner. Le théâtre est un art vivant. Les artistes et le public se retrouvent en un même lieu à un même moment. C’est indispensable pour qu’il y ait théâtre.

  • Légende : Samuel Churin, coiffé d’un chapeau, a joué dans « Nathan Le Sage », programmé au Rive gauche la saison dernière

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