Sara Llorca : «  J’avais envie de mettre en lumière ce que nos parents peuvent nous léguer  »

photo : DR

Un confinement et un déménagement… Sara Llorca a quitté Paris pour installer sa compagnie Hasard objectif à Sigy-en-Bray.  Une occasion pour changer d’air et penser un projet artistique avec l’ambition de transformer une grande grange en un lieu de répétition. Cela n’a pas empêché l’autrice qui est comédienne et metteuse en scène de revenir à l’écriture. La Juliette de David Bobée dans Roméo et Juliette de Shakespeare a passé une semaine à la scène nationale de Dieppe avec le musicien Benoît Lugué pour éprouver au plateau D-Lear. Un nouveau texte, inspiré du Roi Lear, qui lui permet de revenir au dramaturge anglais, d’aborder l’héritage entre les générations et de questionner son théâtre. Entretien.

Comment se sont déroulés les différents confinements ?

J’ai l’impression de n’avoir jamais autant travaillé. Dès le premier confinement, beaucoup de contrats ont été annulés ou reportés et nous ne savions pas que la crise allait durer plus d’un an. Cela a donné du temps pour reprendre toutes les propositions artistiques, peaufiner l’écriture, ciseler les choses. Arrivés à Sigy-en-Bray, nous avons tissé de nouveaux liens, nourri notre projet de création d’un lieu de recherche pluridisciplinaire. Nous avons voulu prendre le temps de comprendre ce que l’on attendait de nous. Il y avait beaucoup d’artistique dans les échanges. C’était bon de sentir qu’il est possible de continuer à écrire et imaginer des spectacles.

La crise sanitaire n’a donc pas été un frein à votre écriture ?

Pour moi, non. Je fais partie de cette catégorie d’artistes qui n’a pas eu peur de manquer. Je suis entourée de personnes qui arrêtent ce métier. Pour elles, ce n’est plus tenable. D’autant que la deuxième année blanche n’aura pas lieu. Comme j’étais libérée de cette urgence-là, j’ai pu me livrer à la vacuité des journées. Je mesure la chance de ce temps donné. Dans ces instants-là, les idées émergent. Vient le moment de l’écriture. Après, cela se transforme en une pièce que l’on partage.

Est-ce que D-Lear est une pièce née pendant le confinement ?

Oui. Elle fait suite à une discussion sur une action culturelle. Nous ne pouvions pas aller dans les lycées avec juste un sourire. Il nous fallait un projet artistique pour présenter notre univers et permettre une rencontre avec Le Roi Lear pour ceux qui ne le connaissent pas. J’ai imaginé cette forme légère où la question intergénérationnelle est urgente et brûlante. Depuis un an, beaucoup de jeunes ont l’impression d’être sacrifiés au profit des vieux. Ce qui peut créer une fracture générationnelle. 

Pour vous, c’est un retour à Shakespeare.

Le Roi Lear est un texte qui me passionne depuis longtemps. Son intérêt est le rapport aux éléments. Dans l’acte III, le roi est dans une tempête. L’orage extérieur se confond avec son état intérieur. Il y a toujours beaucoup de confusion en nous, surtout lors de moments de grands troubles. Dans cette pièce, Shakespeare arrive à nommer et à déployer tout cela. Il parvient à passer d’une tragédie douloureuse à une sorte de farce. Pour écrire, j’avais besoin de prendre racine chez Shakespeare. C’est une super béquille. J’avais besoin de me demander ce que je porte comme théâtre dans mon corps, dans mon verbe, dans ma langue. Je peux libérer une théâtralité qui vient de moi. Je parle d’une chose dont je suis sûre. C’est l’amour filial.

Pourquoi Le Roi Lear vous touche tout particulièrement ?

J’ai voulu justement savoir ce qui me touchait intimement dans ce texte. Dans le premier acte, j’ai observé le roi et je me suis tournée vers mon père (Denis Llorca, ndlr), grand metteur en scène des années 1970. Lear qui est un roi un peu fou est aussi en paix. Son histoire est celle de mon père. Et là, j’ai quelque chose à dire en tant que fille. Ce qu’il a vécu m’accompagne. Sa vie nourrit la mienne. Le lien entre les génération devient alors lumineux. J’avais envie de mettre en lumière ce que nos parents peuvent nous léguer et que cette chose est précieuse. Je voulais témoigner de cela. Cette pièce n’est pas une chute mais une aventure.

Vous faites même entendre la voix de votre père dans D-Lear ?

J’ai enregistré sa voix quatre mois avant le travail. Je dois construire une œuvre avec une voix qui ne bougera pas. J’ai pris conscience de cette contrainte.

Pourquoi vous êtes-vous concentrée sur le personnage de Cordélia, la troisième fille du Roi Lear ?

Je trouve très belle la scène finale. Celle où il lui dit :  » il vous faudra être patiente avec moi, oublier et pardonner« . Par ailleurs, il n’y a pas de surprise avec ses deux autres filles. Or, au théâtre, il faut un point de tension. Avec Cordélia, une jeune femme ambivalente, le roi n’aboutit pas complètement la relation. Il y a ainsi ce point de tension, une dualité. Ce qui m’a permis de m’approprier ce personnage dans l’écriture.

Cette pièce ne pouvait être qu’un duo ?

La forme est liée aux contraintes du confinement. Il n’était pas possible de convoquer des acteurs chez moi. Il fallait aussi une légèreté, une souplesse et une simplicité parce que je m’attelle à des questions intimes. J’ai aussi voulu faire l’expérience du dépouillement pour aller jusqu’à l’os.

  • photo : Céline Lugué