Shane Haddad : « L’écriture est une partition avec la solitude »

photo : Hélène Bamberger

Toni, étudiante, a 20 ans. Ce vendredi est le jour de son anniversaire et aussi celui d’un match de foot. Dans ce premier roman, Shane Haddad, lauréate du prix jeune écrivain 2020, retrace dans le moindre détail la journée de cette jeune femme perdue dans divers entre deux. Toni tout court est une errance sensible et vertigineuse. L’autrice, installée au Havre, sera samedi 22 janvier à La Galerne pendant le festival Le Goût des autres. Entretien.

Qu’est-ce qui vous a conduit jusqu’au Master de création littéraire au Havre ?

Après le lycée, j’ai cherché des études pour me mettre sur la voie de l’écriture. J’ai été prise au Havre. C’est arrivé à un moment où Paris ne me correspondait plus. Il y a trop de bruit, trop de tumulte, trop de stress. Nous avions traversé les attentats. Dans le domaine de l’écologie, ce n’est pas très au point. Au Havre, il y a un rapport à l’architecture, à l’urbanisme qui est différent. Je trouve que l’on est moins angoissé ici, mieux reçu et regardé. On a des paroles plus bienveillantes. On est surtout dans un autre rapport à la nature, entre ciel et terre. La mer permet ce regard vers la fuite.

Est-ce que l’écriture est un travail laborieux pour vous ?

Oui, c’est très compliqué. L’écriture est une partition avec la solitude. Je la comprends d’autant mieux aujourd’hui. Je dois essayer d’en vivre. Je me demande aussi si elle est un métier ou pas. Qui me donne l’autorisation de dire que c’est un métier ? Cette incertitude pèse. L’écriture est aussi une partition avec le silence qui est nécessaire et complètement ravageur. Elle ne conduit pas dans le brouillard parce que le cerveau cherche une vision claire. Celle-ci arrive, je pense, quand le livre est terminé. J’ai néanmoins besoin d’avoir un horizon dégagé.

Malgré cela, l’écriture vous est nécessaire.

Oui. Quand elle n’est pas nécessaire, on n’écrit pas. Elle est mon quotidien. Je me nourris d’écriture. Mes journées sont liées à l’écriture.

Où est le plaisir alors ?

L’écriture suppose un rapport de soi à soi. Une forme de plaisir est là quand on estime être au bon endroit. Ce n’est pas une satisfaction mais un contentement au niveau du travail. Le plaisir est là — on peut parler de luxe — quand je réfléchis sur un texte, sur son écriture, le rapport entre ce qui est dit, ce qui se dit et la manière dont c’est dit. C’est agréable de consacrer du temps à la compréhension, même d’une seule phrase. 

D’où vient ce choix de l’écriture ?

Cette volonté d’écriture est tellement lointaine que je ne peux pas parler de choix. J’ai grandi avec. Je crée une fiction de ma propre vie avec cette sorte de personnage qui grandit avec moi. L’écriture est devenue une alliée. Elle est là tout simplement et je dois composer avec elle.

Quand est arrivée Toni dans l’écriture ?

Ce personnage a mis du temps à arriver. C’était un milieu de la première année de Master. Cela a été un processus en sourdine. Au début, je faisais des essais d’écriture, souvent, à la première personne. Doucement, de texte en texte, le je a pris la forme d’un personnage féminin parce que j’avais besoin de comprendre pourquoi j’écrivais. Puis, j’ai trouvé une voie.

Toni a 20 ans, un âge où on n’est plus une adolescente et pas encore une adulte.

Je ne m’en suis pas rendu compte au début. Cet âge est comme une plaque tournante. C’est l’âge qui me ressemblait le plus. Quand j’ai écrit le livre, j’avais 21-22 ans. Je voulais évoquer cette prise de conscience d’un passage, sans faire de distinction, entre enfance, adolescence et âge adulte. On n’a plus 15 ans et on n’est plus en colère contre le monde. On a beau être en colère, on est rien. Le cercle de la sagesse s’élargit et on prend conscience de notre petitesse.

Définiriez-vous votre roman comme une errance ?

Oui, c’est une errance dans mon univers. Quand on écrit, on n’a aucun but. Le roman est le chemin de Toni qui traverse mon monde, une errance sur un stade de foot pour aller vers le but.

Vous avez parlé de la solitude de l’écrivain. Toni est aussi très seule.

Toni s’est construite avec le processus d’écriture. C’est comme si le processus d’écriture était mon bras et Toni, ma main. Ce roman est une quête de soi. Mais elle ne part pas avec une question. Moi aussi, je suis partie avec rien. Je cherche encore quelle était ma question. Toni ne sait pas qui elle est. Elle n’arrive pas à se définir, à être. Cela me rappelle l’adolescence. Je travaille avec des lycéens en quête d’un savoir. Or, ils ne savent pas ce qu’ils cherchent.

Est-ce pour cette raison que vous tissez des liens entre présent et passé ?

Je n’arrive plus à l’expliquer. Plus le temps passe et moins je sais comment j’ai écrit ce texte. Il y a eu une ouverture des vannes. Chez moi, les souvenirs reviennent avec beaucoup d’images fortes. Comme si elles arrivaient devant les yeux. Mais elles restent friables. Cela s’est évidemment injecté dans mon livre. Dans l’apprentissage d’une personne, il y a toujours un lien avec le passé. Celui-ci devait revenir avec des voix intérieures. Tout cela s’est mélangé. J’avais envie là d’interroger le rapport organique à l’écriture.

Est-ce pour cette raison que vous mettez un accent sur les émotions intérieures ?

Oui, les émotions intérieures, c’est ma base de travail. J’ai fait des études de théâtre et le rapport au corps est important, constant. Dans les textes que j’ai pu lire, de plus en plus par des femmes, apparaissent les corps. Cela a dû déteindre sur moi. Cela me semble cependant primordial parce que c’est lié à mon chemin présent.

Dans ce rapport au corps, Toni s’interroge sur le modèle de femme parfaite.

Oui, complètement. Nous grandissons avec des présupposés sur les femmes, les hommes, le couple… À un moment donné, il y a une fracture du corps. La perfection n’est pas à atteindre. Toni a un rapport au corps assez violent.

Avez-vous commencé un nouveau roman ?

J’essaie d’écrire un nouveau texte mais ce n’est pas facile. Celui-ci m’a demandé beaucoup d’énergie. Il faut que je prenne conscience de ce que j’ai écrit. Ce n’est pas que je suis dans le déni mais il y a eu la période de promo, les confinements… Je n’ai pas encore réussi à comprendre. Il le faut afin que je retrouve une voie. Donc, je patiente.

Infos pratiques

  • Samedi 22 janvier à 11 heures à La Galerie au Havre
  • Entrée libre
  • photo : Hélène Bamberger