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Tatiana Julien : « Le corps est loin d’être libre dans la société »

Soulèvement est un solo sur la résistance. Dans cette création libre et politique, présentée mardi 17 décembre à la scène nationale de Dieppe, Tatiana Julien engage pleinement son corps. Elle y mêle danses contemporaines et urbaines, jeux vidéos et sport. Entretien avec la danseuse et chorégraphe.

Quelle définition donnez-vous au mot soulèvement ?

Au tout départ de ce projet, j’avais envie de parler de l’état de résistance dans le corps, de partir d’un point de vue physique. Je me suis demandée : qu’est-ce qu’un corps qui se soulève ? Qu’est-ce qu’un corps libre ? Cela m’a ouvert de nombreuses pistes de réflexion. Un soulèvement, ce peut être aussi une manifestation dans la joie, dans l’excitation ou encore une forme d’aliénation, de galvanisation que l’on peut voir dans les salles de concert, dans les stades, dans les rues… Tout cela revêt une question sociétale et m’a amené à m’interroger sur notre héritage.

Dans Soulèvement, le corps est très présent et aussi les mots. Vous êtes allée rechercher des archives de Jacques Rancière, de Michel Serres, d’André Malraux, d’Albert Camus…

Je suis très animée par le texte, les prises de parole, les discours. Je trouve qu’il est important aujourd’hui de positionner l’art chorégraphique dans le monde réel. C’est l’endroit de tous les jours. Il faut se demander où il peut être traversé par ce monde-là et comment le corps peut être un engagement politique.

Vous ajoutez également des citations chorégraphiques. Pourquoi ?

Il y a deux endroits de citation avec tout d’abord Anne Teresa de Keersmaeker, Merce Cunningham, Alwin Nikolais, Isadora Duncan qui font partie de mon histoire chorégraphique. D’autres citations viennent des jeux vidéo, notamment de Fortnite. J’avais envie de parler de la tendance actuelle. Je trouve qu’il est difficile de travailler sur un imaginaire. Je le vois lors des ateliers. Les enfants puisent dans des gestes prémâchés. Il y a une culture numérique très présente. Ce qui insuffle une perdition de l’imaginaire et rend les corps aliénés.

Est-ce que le corps a une fonction ?

Oui, le corps a une vraie fonction dans la société. Le corps est loin d’être libre dans la société. La danse a quelque chose à apporter dans cette évolution. Par exemple, l’empathie est une notion intrinsèque à la danse. C’est pour cette raison que le public est en bi-frontal. Il est aussi le sujet de la pièce et a une position empathique. Je pense que l’on serait différent si la danse avait plus de présence dans le monde. Il faudrait qu’elle ait plus de poids dans les enjeux que nous sommes en train de vivre. Les anciennes générations de chorégraphes et de danseurs avaient d’autres nécessités. Dans ce monde brutal d’aujourd’hui où les liens se fragilisent, j’ai besoin d’insuffler dans la danse quelque chose de réel, de politique. La société a besoin de nous.

Vous êtes seule sur scène. Néanmoins, est-ce qu’un soulèvement n’est pas possible uniquement à plusieurs ?

C’est un sujet a priori de masse. Un soulèvement ne se fait pas seul mais il part d’une énergie profonde, d’un besoin de poser un geste intime. C’est ma pensée sur le plateau et je voulais inscrire mon travail quelque part, amener un corps qui hurle.

Est-ce un soulèvement désespéré ?

Non, les choses ne sont pas si désespérées. Nous ne sommes pas encore dans l’aliénation. Il reste encore des possibilités pour préserver nos libertés de pensée et d’agir. Faire un spectacle, c’est une façon de proposer à plein de gens de réfléchir sur ce sujet.

Infos pratiques

  • Mardi 17 décembre à 20 heures à la scène nationale de Dieppe.