Vu de l’Est

"Circles" sur la guerre de Bosnie de Srdan Golubovic
« Circles » sur la guerre de Bosnie de Srdan Golubovic

La Bulgarie, l’Estonie, la Hongrie, la Pologne, la République Tchèque, la Roumanie… Tous ces pays sont représentés lors du festival A l’Est, du nouveau qui commence vendredi 11 avril. Huit jours de cinéma pour découvrir autant une production récente présentée en avant-première que des films issus d’un patrimoine riche. Eclairage avec David Duponchel, fondateur du festival.

 

 

 

Est-ce que le cinéma tient une place importante aujourd’hui dans tous les pays de l’est de l’Europe ?

Je pense que, dans tous les pays de l’Est, le cinéma a une place importante car un pays sans cinéma, c’est un pays sans miroir, un pays qui a du mal à se connaître et à se reconnaître. D’ailleurs, on peut voir que lorsqu’un pays n’a pas de cinéma, il a tendance à se faire coloniser culturellement. Je peux le voir ici au Pérou où nous organisons le même festival, Al Este de Lima. Suite à l’occupation des écrans par les blockbusters, les Péruviens, dans leur grande majorité, ont jusqu’à perdu l’habitude de voir des films non formatés et avec des thèmes disons plus proches de leur société. Résultat, on se plaît à se rêver américain et non plus péruvien. Je pense que cela peut être le cas dans des pays de l’Est qui n’ont pas une défense forte de leur culture et ne bénéficient pas d’une aide à la création cinématographique de leurs pouvoirs publiques, je pense à la Roumanie ou à la Bulgarie.

 

Justement comment se porte le cinéma hongrois ?

Je pense que le cinéma hongrois se remet peu à peu. La politique culturelle d’Orban a eu l’effet d’une douche froide dans un premier temps mais les cinéastes hongrois sont allés chercher les financements ailleurs et ont continué à créer. Pour preuve, le prix à Berlin en 2012 pour Bence Fliegauf pour Like the Wind, film formidable sur ce qui mine également ces pays, une montée sourde des extrémismes dans les campagnes. Nombre d’entre eux se sont réfugiés dans le documentaire qui demande moins de financements. J’ai bien plus peur de cette censure liée au marketing qui empêche qu’un film sans campagne puisse rester en salles plus d’une semaine. C’est d’ailleurs ce que me disait ma professeur Vera Chytilova à l ‘école de cinéma de Prague, la FAMU, elle préférait se confronter à une censure politique qu’une censure économique, la première étant plus intelligente que la seconde.

 

Dans la programmation, il y a des films du Caucase.

C’est plutôt une bonne nouvelle, car ce sont des films très inventifs sur la forme. Il y a un film arménien, Je vais changer mon nom, qui contient des images de téléphone mobile, éblouissantes de beautés, une coproduction entre l’Ukraine, la Géorgie et l’Arménie. C’est sans doute là que se trouve le salut à travers des coproductions.

 

La sélection présente des drames. Est-ce un hasard ou le reflet de la situation des pays de l’Est ?

C’est vrai que la sélection peut paraître obscure mais nous n’avons pas que des drames. Je pense, par exemple à la comédie, Les enfants du prêtre. C’est très drôle et rafraichissant. Le film Paradjanov est un hymne à la liberté de créer. Dans la section « Fokus » dédié à la culture tzigane, il y a aussi ce film, Qui chante là-bas, un hymne à la vie. Toutefois, la situation en Europe et dans cette zone de l’Europe n’est pas des plus facile. On assiste à une montée des extrémismes, à la peur de la globalisation, aux campagnes laissées pour compte, à ces zones frontalières où diverses communautés, slovaques, hongrois, roumains se côtoient et où il est difficile de trouver sa place face à la montée des nationalismes.

 

Que faut-il retenir du travail de Szabo présenté dans la section Retrospekt ?

Szabo est un directeur qui m’a subjugué, son film Méphisto est une fresque immense, alliant la grande à la petite histoire. Son travail sur les comédiens est fascinant et sa recherche de la métamorphose de l’humain aux contacts des systèmes politiques, que ce soit le nazisme ou le système de l’empire austro-hongrois est quasi, celle d’un entomologiste. C’est également un artist de la bande des Visconti, des Wajda, des grands cinéastes dont les films étaient des œuvres au sens traditionnel du terme, qui avaient un grand pouvoir d’évocation et de profondeur, sachant allier la fresque historique et la pensée la plus intime.

 

Le festival ouvre avec un film sur Walesa. Quelle aura a-t-il encore aujourd’hui ?

Walesa est un personnage controversé mais je pense que l’important est que Wajda a su donner aux Polonais une image grandiose de cette époque. Il a en fin de compte créer une légende. Un ami polonais voyait en Walesa un agent des services secrets, la célèbre SB. L’objectif, selon lui, était de démonter le système communisme afin de permettre à l’élite du parti de faire main basse sur les grandes usines du pays dans une grande vague de privatisations et ainsi de faire fortune. Là aussi, c’est une interprétation, on ne saura jamais sans doute toute la vérité mais c’est important pour un pays d’avoir ces héros nationaux, et là on est vraiment dans cette thématique du miroir, c’est nécessaire pour un pays de se construire des légendes et c’est le rôle du cinéma, d’ailleurs, il suffit de regarder la France.

 

  • Du 11 au 18 avril à l’Omnia à Rouen, à l’Ariel à Mont-Saint-Aignan. Tarifs : 5, 50 €, 3,50 €. 25 € le pass 8 places.
  • Programme complet sur www.alest.org