Pascal Blanchard : « Notre histoire n’a pas été si bien digérée »

MGEN 25 O1 2016 Paris Pascal Blanchard

MGEN 25 O1 2016 ParisÊtre reconnu par l’autre. Une évidence qui l’est de moins en moins dans un pays de plus en plus métissé. 30 % de la population française n’est pas blanche selon l’INSEE. Aujourd’hui, les débats se crispent, on agite des chiffons rouges lorsqu’il est question de couleur de peau, de religion, d’étranger, d’immigré, de réfugié. Quelques jours avant les Journées de la diversité culturelle, organisées par le CDN de Normandie Rouen, explication de cette fracture avec Pascal Blanchard, historien, chercheur au CNRS au laboratoire communication et politique.

 

Aujourd’hui, est-ce que nous vivons réellement ensemble ou est-ce que nous coexistons ?

Il est impossible d’établir des généralités parce qu’il existe une multiplicité de situations. Dans des quartiers d’exclusion, on constate un repli sur soi parce que ces habitants n’ont pas les moyens d’aller en ville. C’est une non-vie partagée. La notion de vivre ensemble n’existe pas. On est dans l’entre soi. Ce qui crée un communautarisme. Quand on partage un territoire, on fait du sport ensemble, on va l’école ensemble, on va voir un spectacle ensemble, c’est différent. La société française est l’une des sociétés les moins communautaristes en Europe. On observe un plus grand nombre de brassage extracommunautaire. Aujourd’hui, 50 % des familles ont un grand-père né dans les anciennes colonies. Quand vous êtes invité à un mariage, il y a au moins une personne de couleur. C’est un changement majeur. Il y a aussi des évolutions dans le monde du travail où on remarque un vrai métissage. Ce sont des notions que les politiques devraient avoir en tête quand elles évoquent le vivre ensemble.

 

Des politiques qui préfèrent jouer sur les peurs.

Pour se faire élire, les politiques parlent en effet de la peur de l’autre. Ils préfèrent appuyer où cela fait mal. Aujourd’hui, jouer sur les peurs dans un contexte international trouble, c’est plus facile. Cela crée de l’inquiétude. N’oublions pas que la peur de l’inconnu, c’est assez naturel. Mais il serait préférable d’en appeler à la raison qui nécessite de faire aussi appel à l’intelligence.

 

Est-ce que nous avons aujourd’hui digéré notre histoire ?

Non pas encore. Si vous voulez vous informer sur la colonisation, l’esclavage, vous allez où ? Nulle part parce qu’il n’y a pas de musée. Il n’y a jamais eu de travail en profondeur. Nous n’avons pas les outils pour comprendre. Cette époque coloniale est sortie de nos têtes parce que l’histoire n’a pas été si bien digérée que cela. On reste encore bloqués.

 

On a oublié ou on a perdu la mémoire ?

Les deux. Nous avons effacé notre mémoire et nous avons oublié. Vivre ensemble, ce sont de jolis mots qui s’adressent à ceux qui reçoivent et à ceux qui arrivent. C’est un processus qui incombe aux deux. Il faut donc une approche commune.

 

Pourtant la France a fait sa Révolution. Elle a prôné des idéaux, des valeurs de liberté, de tolérance.

Oui, nous avions tous les éléments de la diversité avant les autres pour bien vivre ensemble. Mais on les a perdus. Nous nous sommes retranchés sur notre modèle. Les politiques d’intégration ont été un échec. Alors, aujourd’hui, on se crispe. Nous vivons un moment important qui doit nous permettre d’imaginer tout un processus pour vivre ensemble. Je ne pense pas que l’on puisse s’en sortir autrement sans cette réflexion.

 

Quand Manuel Valls, Premier ministre, parle d’Apartheid, se trompe-t-il ?

Non, il a raison, notamment quand on parle de diversité sociale, territoriale. Cela ne veut pas dire que la France est pire que les autres mais elle a mené des politiques territoriales d’exclusion.

 

Quel constat faites-vous dans le monde de la culture ?

Ça change. Au cinéma, on voit des films de Rachid Bouchareb, d’Abdellatif Kechich. Le théâtre est aussi en train de changer. Sur les 25 acteurs les mieux payés, plus d’une dizaine sont issus des régions post-coloniales. Ça change, sauf dans les musées, un monde ultra-conservateur. Aucune personne de couleur ne dirige un musée en France. Sauf Jacques Martial au Mémorial ACTe en Guadeloupe. Dans la culture, comme dans le sport, vous êtes exclu quand vous n’êtes pas bon. Si Christiane Taubira a été couverte d’insulte, c’est qu’elle est un symbole. Une femme, noire, devient ministre et elle ne doit rien à personne. C’est là que les derniers racistes commencent à hurler.

 

 

  • Vers La Guerre des identités ? De la fracture coloniale à la révolution ultranationale, sous la direction de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Dominic Thomas. La Découverte. 24 €.

 

 

Le programme des journées de la diversité culturelle

Mardi 11 octobre au musée des Beaux-Arts à Rouen (entrée libre)

  • 14 heures : ouverture du colloque
  • 14h15 : conférence Des Magiciens de la terre à Carambolages par Jean-Hubert Martin, ancien directeur du musée national d’art moderne et du musée des arts d’Afrique et d’Océanie
  • 15h45 : table ronde sur La Diversité des patrimoine, enjeux d’histoire
  • 16h15 : table ronde sur La Diversité des publics, enjeux d’aujourd’hui
  • 17h30 : synthèse et conclusion

Mardi 11 octobre au théâtre des Deux-Rives à Rouen

  • 20 heures : Paris, d’après Mélo de Frédéric Ciriez, mise en scène de David Bobée, avec Marc Agbedjidji, Angelo Jossec, Marius Moguiba. Tarifs : 18 €, 13 €. Réservation au 02 35 03 29 78 ou sur www.cdn-normandierouen.fr
  • 21h30 : projection de Le Bleu blanc rouge de mes cheveux de Josza Anjembe. Tarifs : 5,50 €, 4 €.

Mercredi 12 octobre à la Mam Galerie à Rouen

  • 18 heures : vernissage de l’exposition collective. Entrée libre

Mercredi 12 octobre au théâtre des Deux-Rives à Rouen

  • 19 heures : projection de Le Bleu blanc rouge de mes cheveux de Josza Anjembe. Entrée libre.
  • 19h30 : lecture de textes de Tony Morrison par Eva Doumbia avec les élèves de l’école régionale d’acteurs de Cannes. Entrée libre.

Mercredi 12 octobre à l’Omnia à Rouen

  • 21 heures : projection de La Ligne de couleur de Laurence Petit-Jouvet. Tarifs : 5,50 €, 4 €.

Jeudi 13 octobre au théâtre des Deux-Rives à Rouen. Entrée libre

  • 10 heures : introduction de Karine Gloannec-Maurin, haute fonctionnaire en charge de la diversité au Ministère de la Culture
  • 10h30 : rencontre avec le collectif Décoloniser les arts
  • 14 heures : rencontre avec l’office national de Diffusion artistique
  • 16h30 : performance de Medhi George Lalhou

Jeudi 13 octobre au Rexy à Mont-Saint-Aignan

  • 20 heures : Finir en beauté de Mohamed El Khatib. Tarifs : 14 €, 9 €. Réservation au 02 35 03 29 78 ou sur www.cdn-normandierouen.fr