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# 25 / Bertrand Landais : « Notre rôle est d’accompagner les projets culturels pour assurer cette vie en commun »

À L’Étincelle, théâtre(s) de la Ville de Rouen, la saison prochaine se prépare. Elle sera davantage nomade et adaptable à la situation sanitaire. Une volonté de l’équipe expliquée par Bertrand Landais, coordinateur du projet artistique, culturel, et territorial. Entretien.

L’Étincelle a un mode de gouvernance singulier. Elle est collégiale. Est-ce une chance ou une lourdeur pendant cette crise sanitaire ?

C’est une chance dont on a conscience à L’Étincelle. Dans ce contexte anxiogène, il n’y a pas une personne seule qui fait des choix. Chacun amène son point de vue, son expérience, son histoire et se nourrit des autres. Ce n’est pas déléguer ou reléguer les responsabilités mais partager les doutes et prendre des décisions ensemble de manière concertée. Nous le vivions vraiment bien. Cette situation exceptionnelle a justement permis de mettre à l’épreuve ce mode de gouvernance et démontré qu’il fonctionne bien. Cerise sur le gâteau : nous avons le regard et le concours de Yann Dacosta (metteur en scène, fondateur de la compagnie Le Chat foin, ndlr) qui est associé à ce fonctionnement. C’était une volonté de la ville de Rouen d’associer un artiste au projet. Il nous décentre de nos bonnes et mauvaises habitudes de travail et remet en cause nos certitudes. Nous sommes surtout concentrés sur la diffusion. Lui replace le volet artistique dans les discussions. Il nous disait : en tant qu’artiste et employeur, je me pose des questions sur ma responsabilité et ne sais pas si je vais mettre en danger des comédiens. Nous n’avions pas cette dimension-là en tête.

Comment s’est alors dessinée la saison prochaine ?

Nous l’avons envisagée dans le même principe de réciprocité. Ce qui prévaut pour l’un prévaut pour l’autre. Nous avons tout d’abord construit une saison avec des rendez-vous habituels tout en invitant les artistes à pouvoir adapter leur projet en fonction de la situation. Les choses ne vont peut-être pas se dérouler plus tard comme nous le prévoyons aujourd’hui. Si les jauges devaient être réduites — à la chapelle Saint-Louis, nous pourrions accueillir seulement 23 personnes — est-il judicieux de jouer d’un point de vue économique, artistique, psychologique ? Ou alors ne faut-il pas mieux envisager autre chose ? Il y aura tout au long de la saison des rendez-vous adaptés. Cela se fait en concertation avec les compagnies. Nous leur avons demandé leur avis. Cela nous a placés dans un échange plus profond, plus dense avec les artistes.

Est-ce là répondre aux exigences d’un théâtre de proximité ?

C’est exactement ça. L’Étincelle est un théâtre en connexion avec les compagnies. Pour la saison prochaine, nous sommes dans une logique de localisation de la programmation. Beaucoup de compagnies locales n’ont pas joué. Il y a des créations que l’on n’a pas pu voir et qui ont besoin d’être vues. Notre rôle est d’être solidaires.

« Dans les meilleures conditions pour partager la fête »

Comment L’Étincelle peut accueillir le public en toute sécurité ?

Il faut tout d’abord que le public ne se sente pas bloqué dans des files d’attente. C’est à nous de trouver des astuces à l’extérieur et à l’intérieur des lieux pour que tout soit rassurant et accueillant. Et ce, sans surjouer. Ce ne sera pas une mise en scène mais une entrée qui sera agréable à vivre. Le théâtre reste un lieu de rapprochement social même s’il faudra encore respecter une distanciation à la rentrée. Il y aura cependant un rapprochement et nous accueillerons les spectateurs et les spectatrices dans les meilleures conditions pour partager la fête.

Le ministre de la Culture, Franck Riester, a autorisé l’ouverture des théâtres seulement pour des répétitions. Est-ce que L’Étincelle peut accueillir des compagnies ?

Nous sommes dans la même réciprocité que pour la diffusion. Il y a la même responsabilité qu’une compagnie employeuse d’interprètes. En tant que ville et lieu, nous sommes responsables des personnes que l’on accueille. Pour des petites formes en création et un travail d’écriture ou de table, il n’y a aucun souci. Nous sommes encore dans le doute pour le jeu. Il faut attendre encore tout début juin pour tout se fasse en pleine sécurité. Aujourd’hui, nous sentons une réelle envie.

Chaque saison, L’Étincelle met en place des actions avec les habitants de Rouen. Seront-elles poursuivies ?

Pour l’instant, les projets sont reportés à l’automne. Les Hauts t’enchantent devient un autre parcours Avatar. Un week-end par mois, nous organisons une rencontre destinée à conforter des artistes professionnels à un groupe d’amateurs. La prochaine saison, nous allons aussi investir d’autres espaces de Rouen suffisamment grands. Nous voulons faire la fête à chaque changement de saison. Nous avons ce devoir d’aller vers le public et confirmons cet élan d’être davantage nomades. Cela fait partie de nos orientations nouvelles.

Que faut-il penser du plan culture présenté par le président de la république, Emmanuel Macron ?

Il y a eu des annonces que l’on attendait. Pour 2020, on a une structuration sociale et solidaire. On pourra amortir le choc. L’inconnue sera pour 2021 avec les répercussions sur nos financements, sur les priorités données à tel secteur ou un autre. À L’Étincelle, l’équipe est assurée. La Ville de Rouen a tout de suite eu conscience de l’impact de la crise sanitaire sur le secteur culturel, sur les compagnies locales, sur les intermittents. Il y a eu une solidarité évidente. Notre rôle est d’accompagner les projets culturels pour assurer cette vie en commun, pour vivre cette vie qui nous a chahutés. Nous sommes là pour redire que la place des artistes dans la société est indispensable.