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# 30 / Raphaëlle Girard : « Le confinement a été une amputation »

Raphaëlle Girard, directrice du Rive Gauche à Saint-Etienne-du-Rouvray (76) depuis avril 2018

Les théâtres reprennent vie tout doucement. Pour cela, les directeurs et directrices de ces lieux fermés depuis mi-mars avec le confinement ont imaginé divers scénarios et dû construire une saison. Témoignage de Raphaëlle Girard, directrice du Rive gauche à Saint-Étienne-du-Rouvray.

Comment s’est déroulé le confinement pour l’équipe du Rive gauche ?

Il s’est déroulé très bizarrement pour cette équipe totalement engagée pour les artistes. Le confinement a été une amputation. Pour moi, ce fut une amputation très dure, avec même des larmes, parce que cette saison est ma première au Rive gauche. Par ailleurs, nous avons appris à télétravailler. Sauf pour deux d’entre nous, les techniciens, qui ont été en maintien à domicile. La ville de Saint-Étienne a souhaité verser les salaires à tous les agents que nous sommes aussi. L’équipe n’est pas encore revenue au théâtre. Le retour s’effectuera lundi 8 juin avec un protocole précis. Maintenant, ce retour est nécessaire. Il est nécessaire que le théâtre revive avec notre présence.

Quand va-t-il revivre avec le public ?

Une note du préfet stipule une possible ouverture au public avec une occupation de la salle un siège sur deux. J’envisage de le faire. Cette première ouverture au public est à l’étude peut-être en juillet avec un concert de l’Orchestre régional de Normandie. Le concert serait gratuit. Il n’y aurait que 250 personnes. Ce moment serait symbolique pour dire que nous souhaitons accueillir le public avant la trêve estivale et redonner un peu de souffle à un lieu comme Le Rive gauche. Depuis quelques jours, on sent que ça bouillonne. Pendant le confinement, nous avons appris à nous taire et à attendre. Notre théâtre n’est pas un lieu de production mais de diffusion. Le Rive gauche n’avait pas de légitimité à parler. L’offre numérique était aussi débordante. Nous avons juste pris la parole après l’annonce du décès de Christophe qui était venu au théâtre (jeudi 10 octobre 2019, ndlr).

« C’est une saison rêvée »

Qu’est-ce qui vous a guidé dans les prises de décision pendant le confinement ?

Quand on prend un coup, on a un bleu qui passe par toutes les couleurs avant que la peau ne reprenne sa couleur normale. C’était un peu la même chose. Nous sommes passés par plusieurs scénarios. Peut-être suis-je optimiste mais Le Rive gauche aura une saison normale. C’est une saison rêvée. Elle était prête avant le confinement et sera sur notre brochure. Nous ne voulons pas de spectacles corona-compatibles. Pour nous, ce n’est pas acceptable. Ce sera une saison normale avec une jauge pleine. Nous demanderons au public d’être masqué. Nous ne souhaitons pas cette distanciation physique. Tout d’abord parce que ce n’est pas viable économiquement et que cela est contraire à la communion de l’expérience collective. Aujourd’hui, tout le monde a son masque, donc on peut demander d’arriver avec un masque. En revanche, s’il survient un autre pic de la maladie, on annulera les spectacles. Là, Le Rive gauche mettra en lumière la partie de son activité invisible. Si on nous impose une distanciation physique, j’ai des spectacles corona-compatibles dans la saison et nous multiplierons le nombre de représentations.

Est-ce que des compagnies programmées la saison prochaine ont déjà annoncé des annulations ou des reports ?

Alban Richard (chorégraphe et directeur du centre chorégraphique national de Caen, ndlr) a repoussé de six mois sa prochaine création parce qu’il n’a pas pu répéter. Bouba Landrille Tchouda (artiste associé au Rive gauche, ndlr) n’a pas pu travailler non plus. C’était prévu début mars avec des artistes internationaux. Il a choisi de créer un autre spectacle qui sera un trio.

« si on prive les artistes de leur art, on les met en danger »

Le Rive gauche est une scène conventionnée pour la danse. Comment est-il possible d’envisager un travail aujourd’hui ?

En danse, c’est juste impossible. Si le spectacle n’est pas un solo, il y a une proximité physique. Aujourd’hui, les danseurs doivent pouvoir travailler sinon ils ne pourront jamais s’y remettre. Fin juin, nous accueillerons en résidence 6e Dimension pour la création d’un duo. Les interprètes arriveront masqués et prendront leur température. Si les compagnies de danse ne peuvent pas créer, c’est tout un art qui sera tué. Et si on prive les artistes de leur art, on les met en danger.

Selon vous, est-ce que le public sera au rendez-vous à l’ouverture des salles ?

Cette idée d’un événement début juillet permettra de voir comment le public répond. Pendant le confinement, nous avons reçu des soutiens de la part de personnes qui ne souhaitaient pas être remboursées et des messages nous disant qu’elles avaient hâte de revenir au théâtre. Mais cela n’est pas quantifiable. Nous ne savons pas si le public sera au rendez-vous mais je suis assez optimiste. Les terrasses viennent de rouvrir et les gens étaient là. Comme sur les plages. Très certainement, certaines personnes mettront du temps à revenir. Dans nos budgets, nous avons prévu une baisse de la fréquentation. Nous sommes prudents. Nous avons cependant un indicateur : les classes s’inscrivent pour les spectacles de l’automne prochain.

Est-ce que le plan culture annoncé par le président de la république et le ministre de la culture est suffisant ?

Non, ce n’est pas suffisant. L’année blanche pour les intermittents est essentielle. Mais il faut du soutien à la création. Ils ne se rendent pas compte de l’impact sur les compagnies. Un grand nombre d’entre elles vont mettre la clé sous la porte. En revanche, il y a une chose qui fonctionne excellemment bien, c’est l’action culturelle mise en place par les théâtres, les établissements scolaires, les collectivités et les compagnies et ils veulent la modifier. Ils en parlent comme si elle n’existait pas mais c’est au cœur de nos métiers. Nous pensons tous que la fréquentation d’une œuvre au moins une fois dans une vie est essentielle pour chaque citoyen parce qu’elle peut changer une vie, une vision du monde. Il faut un soutien à la création, aux intermittents. Ce qui permet d’avoir un vivier d’artistes et de techniciens. Il faut aussi un soutien aux structures de production et de diffusion. Il faut préserver ce secteur qui n’est pas rentable. Comme l’école et l’hôpital. Nous ne sommes pas rentables mais utiles.

photo : Raphaëlle Girard © Éric Bénard