Suzane : « Ce monde ne nous donne pas envie de nous projeter dans l’avenir »

photo : Liswaya

Elle a créé un univers très personnel dans un écrin electro. À l’intérieur, il y a du bleu, des textes aux accents féministes, une parole libre, une poésie urbaine et une danse libératoire. Suzane chante ce monde qui la chagrine et des tranches de vie. Son élan a été freiné à cause du confinement au printemps 2020 après la sortie de son premier album, Toï ToÏ qui sera réédité le 6 novembre avec cinq nouveaux titres. En attendant, Suzane sera jeudi 29 octobre au 106 à Rouen. Entretien.

Votre premier album, Toï Toï, est sorti le 24 janvier 2020. Que représente cette nouvelle étape dans votre parcours ?

C’est une espèce d’accouchement en quelque sorte. Ce premier album, je l’ai pensé, écrit, chanté, enregistré… Il est une étape importante. Comme une naissance. Cela permet de voir le nombre de personnes qui écoutent ces chansons, qui les ont ancrées dans leur vie. J’ai aussi voulu un bel objet. Quand je lis un livre, je ne le fais pas sur une tablette. J’ai besoin de toucher le papier, de le sentir. C’est comme cela que j’écoute de la musique.

Est-ce que cela vous a permis de créer un univers ?

Oui, un album, c’est la musique mais aussi le visuel et un univers. Il y a eu toute une réflexion en amont. Dans Toï Toï, j’ai voulu exprimer mon univers intérieur. Tout cela s’est en fait construit petit à petit, parfois de façon instinctive. Il y a tout d’abord les chansons parce que je ressentais une envie urgente d’écrire, puis la scène. J’y ai mis mon expérience de danseuse. Il y a eu ensuite ce bleu et cette combinaison. Quand j’ai commencé à écrire, je ne pensais pas que ces titres seraient écoutés. Il y eu un peu d’inconscience dans ma manière de faire.

Pourquoi avez-vous souhaité une réédition de l’album aussi rapidement ?

Toï Toï a été très vite confiné. Mettre autant de cœur dans un objet confiné, c’est très triste. C’est une manière de donner une autre vie à cet album et de le proposer à de nouvelles oreilles.

Vous y avez ajouté cinq nouveaux titres.

Je suis allée plus loin dans l’écriture, dans des endroits que je n’avais pas encore explorés. C’est tout ce qui m’est passé par la tête.

Il y a tout d’abord une chanson avec Grand Corps Malade. Pourquoi cette collaboration ?

Nous nous sommes rencontrés le 6 mars lors des Francofolies de La Réunion. C’est un artiste impressionnant. Il n’est pas seulement grand par la taille mais aussi par le talent. Pendant nos échanges, il m’a fait part de son intention d’écrire une chanson sur les femmes et pour les femmes. C’est un thème qui m’a bien sûr parlé. Je lui ai alors proposé ce switch des genres sur des clichés qui peuvent nous conditionner.

Est-ce que Zéro Défaut est une suite à L’Imparfait ?

Il peut l’être. Depuis que l’on est enfant, on nous répète qu’il faut bien gagner sa vie, qu’il faut posséder, que les choses matérielles sont importantes. À tout cela s’ajoute l’image que l’on doit renvoyer aux autres. Avec les réseaux sociaux, c’est amplifié. En fait, nous sommes seulement définis par ce que l’on fait, ce que l’on gagne.

Vous évoquez aussi cette vie d’avant. Qu’est-ce cela représente pour vous ?

Je suis encore très jeune. J’ai la vie devant moi. Mais ce que nous vivons est flippant. Ce monde ne nous donne pas envie de nous projeter dans l’avenir. Tout s’écroule. Est-ce que l’on pourra vivre sans tsunami, sans banquise qui fond, sans nouveaux virus… Je crois beaucoup en cette nouvelle génération. On dit que ces jeunes ont beaucoup le nez sur leurs écrans mais ils se bougent. 

Vous rêvez alors de cette  vie dolce, un des nouveaux titres ?

Oui, je rêve de cette vie dolce qui est liée à mon enfance. Quand j’ai écrit cette chanson, j’ai pensé à mes racines, à ces dimanches que l’on passait en famille sur la plage. Il y a une once de nostalgie mais surtout beaucoup de lumière. C’est pour cette raison que je suis allée passer le confinement chez mes parents à Avignon.

Comment avez-vous vécu ce confinement ?

Il est arrivé de manière très, très brutale dans ma course folle. Il a été comme un petit croche-patte. Ce fut rude. Alors j’ai écrit ces cinq nouvelles chansons. Il m’a aussi permis de voir ma famille, d’envisager la suite.

C’est une question que vous posez également : est-ce qu’il sera encore possible de faire corps ?

Oui, est-ce que les humains vont encore pouvoir faire corps quand on entend tous ces propos sur les discriminations, les inégalités. Nous sommes de petites fourmis face à cette pandémie et certains en sont encore là à se faire la guéguerre sur les couleurs de peau, le genre, la sexualité. Nous devons être ensemble et tous égaux.

Darmanin, c’est pas fun, chantez-vous ?

Non, ce n’est pas fun du tout. Il est rare qu’il sorte une phrase intelligente et constructive. Il ne cesse de fustiger les minorités. Cet homme qu’une femme accuse de harcèlement est dans un gouvernement de Macron qui a promis d’améliorer les conditions des femmes. Cette façon de faire dédramatise leur parole et leur souffrance.

Infos pratiques

  • Jeudi 29 octobre à 19 heures au 106 à Rouen
  • Tarifs : de 28 à 10,50 €. Pour les étudiants : carte Culture
  • Réservation au 02 32 10 88 60 ou sur www.le106.com
  • photo Liswaya