Sébastien Jumel : « Nous voulons une Région qui place la culture et le patrimoine au cœur de la vie des habitants »

C’est le dernier rendez-vous de cette série consacrée aux élections régionales des 20 et 27 juin. Entretien sur la politique culturelle avec Sébastien Jumel, député de la Seine-Maritime qui mène la liste La France insoumise, le Parti communiste et le Parti des radicaux de gauche.

Sur vos documents de campagne, il n’est pas fait mention de culture. Serait-elle pour vous non essentielle ?

Je fais partie de celles et ceux qui considèrent la culture comme essentielle à l’épanouissement humain et donc à la vie sociale. Je partage les mots de Patricia Colin, chargée de production dans un établissement culturel du Calvados, militante syndicale dans la culture, et colistière : « La culture est le lien qui nous unit. Elle permet de réduire la distance qui nous sépare. C’est pourquoi elle est essentielle. Il nous faut protéger sa diversité ». Je partage également les combats d’Elise Husson, intermittente du spectacle, colistière dans la Manche.

Le 3 avril dernier, à Dieppe, en plein confinement, alors que Macron avait tiré le rideau sur les scènes, maintenu fermés les cinémas et les musées, que la ministre promettait depuis février des modalités de retour à la vie culturelle – qualifiée de non essentielle par le gouvernement – j’ai pris l’initiative d’organiser un grand rassemblement culturel en plein air avec mon ami François Ruffin, en lien étroit avec le maire de Dieppe Nicolas Langlois. « Masqués mais pas muselés, citoyens dehors » a rassemblé 450 personnes ! Une bouffée d’oxygène en pleine crise sanitaire pour faire la démonstration que la culture ne doit pas être la dernière roue de la démocratie. En tout cas qu’elle ne l’est pas pour nous. Nous avons associé à ce beau rendez-vous le conservatoire, des plasticiens, des comédiens, les acteurs culturels du territoire, nous avons projeté en plein air Debout les femmes, le film de Gilles Perret et François Ruffin, chanté ensemble. Pour réussir cet événement, qui a d’abord fait tiquer les services de l’État et les plus frileux, parce qu’il n’était pas inscrit au rayon des mesures sanitaires, j’ai résisté à des pressions. Donc oui la culture est essentielle. C’est le message que j’ai porté à la Centrifugeuz à Caen où je me suis rendu à deux reprises récemment, la seconde fois avec François Ruffin dans le cadre d’une initiative de campagne dédiée précisément à la culture.

Sur la culture, dans les documents de la liste pour « La Région qui prend soin, la Normandie qui nous ressemble », notre programme de 12 pages comporte une page à la culture et à la vie associative et sportive. Je ne vous apprends rien en disant que la culture est dans l’ADN de la gauche qui ne renonce pas à la parole donnée. Je pense à Jack Ralite évidemment. Notre liste de rassemblement de la gauche combative, républicaine et écologiste s’inscrit dans cette lignée.

Quelles sont vos principales mesures ?

La Région doit contribuer à rendre toutes les pratiques accessibles à toutes et tous : pas de culture pour les élites ni de sport réservés aux riches mais le meilleur pour tous les publics, dans tous les territoires. Nous voulons une Région qui place la culture et le patrimoine au cœur de la vie des habitants grâce à un projet ambitieux qui mette en réseau tous les acteurs normands. Nous organiserons des festivals normands en soutenant les scènes locales, les groupes, les compagnies et les troupes de notre région. Nous voulons aller à la rencontre des habitants : créer un équipement culturel régional itinérant de haut niveau, avec une programmation à partager dans les villes et les villages du territoire. Nous voulons cultiver la mémoire des conflits, développer la culture de la paix et des droits de l’homme autour de nos sites historiques. Nous veillerons à la préservation du patrimoine matériel, immatériel et naturel.

Quel regard portez-vous sur le monde culturel normand ? Quelles sont les forces et les faiblesses ?

La Normandie est une terre de culture avec environ 9 000 professionnels de ce secteur dans notre Région. Sans être exhaustif — et sans enfiler des perles — il faut rappeler que la Normandie c’est l’impressionnisme, la littérature avec, pour ne citer que ces deux auteurs, Maupassant et Flaubert, un patrimoine considérable, la culture maritime de la pêche et des ports insuffisamment valorisée, l’histoire et la culture mémorielle avec la Seconde Guerre mondiale, le Débarquement, une mémoire sociale et ouvrière forte. Au-delà de ces données, de ces atouts, il y a ce sur quoi le politique a le devoir d’agir : l’accès à la culture. Il demeure très inégalitaire : 30% de la population en est exclu. Ces inégalités sociales d’accès se croisent avec des inégalités territoriales. Selon que vous habitez une métropole, un territoire rural ou une zone péri-urbaine, la présence des équipements culturels n’est pas la même. J’ajoute enfin que la crise sanitaire a durement fragilisé le monde culturel et ses acteurs. Je pense aux intermittents qui n’ont pas été entendus par le gouvernement et qui vont à partir de la fin 2021 subir de plein fouet les effets de l’année blanche.

Le monde culturel vit dans l’inquiétude depuis plusieurs mois. Comment une Région peut accompagner ce secteur ?

Il faut réfléchir avec le monde culturel, mettre le sujet à plat à l’échelle de la Normandie et voir de quelle manière la Région peut, le plus utilement, soutenir la culture par la commande publique, des dispositifs de soutien via les collectivités locales, les établissements culturels, les associations. Nous prenons l’engagement d’une concertation sur ce sujet primordial de l’après crise sanitaire dans la culture.

Il y a des zones blanches, avec très peu d’offre culturelle, sur le territoire normand. Comment y remédier ?

Nous voulons aller à la rencontre des habitants : créer un équipement culturel régional itinérant de haut niveau, avec une programmation à partager dans les villes et les villages du territoire.

Il n’existe pas de pôle d’enseignement supérieur en Normandie. Les élèves qui sortent du conservatoire partent de la région et n’y reviennent pas. Faut-il créer un tel pole ?

Oui clairement, il manque un outil de formation supérieure. A l’inverse de la plupart des régions, la Normandie ne dispose d’aucune école supérieure en art dramatique. Ce sujet n’intéresse pas Morin et les libéraux : ce n’est pas de l’utilitaire !

La culture pour tous et par tous est un sujet récurrent et reste un échec. Quelle place voulez-vous donner aux droits culturels ?

C’est vrai. Mais il n’y a pas de fatalité. On peut progresser. Les actions de sensibilisation culturelle ne pensent pas le lien école-culture et l’accompagnement des jeunes hors du système scolaire. Il faut mettre le paquet là-dessus. Il faut également dans les dispositifs de subventions aux compagnies conventionnées, dans les conventions, réfléchir à renforcer le lien entre ces compagnies et les territoires dans le respect de l’indépendance artistique mais en se disant qu’on doit renforcer les relations compagnies-habitants. 

La culture doit-elle être un enjeu d’aménagement du territoire et d’attractivité ?

Elle est un enjeu d’aménagement du territoire si l’on considère les inégalités d’accès aux équipements culturels qui existent et qu’il faut travailler à corriger. De la même manière, et même si ce n’est pas le but premier, on sait qu’une offre culturelle diversifiée, dense et riche constitue pour un territoire un élément d’attractivité.