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Rover : « un album fait grandir »

photo : Claude Gassian

Eiskeller est empreint du lieu où ce troisième album a été écrit et composé. Rover est allé se réfugier dans une ancienne glacière, un lieu peu accueillant à Bruxelles. Il est ressorti de ce studio bricolé avec 13 titres, remplis d’une mélancolie étrangement lumineuse. Il sera jeudi 20 janvier au 106 à Rouen. Entretien.

Est-ce que composer un album est une épreuve ?

Le mot est un peu fort, surtout aujourd’hui. Ça peut cependant l’être si on n’arrive pas à être en phase avec soi-même. C’est la même chose dans la vie. Le tout, quand on écrit un album, c’est de partir du bon pied. Pour Eiskeller, au début, j’ai perdu un peu de temps parce que je me suis précipité. Un disque est un rendez-vous avec soi-même, un instant de solitude un peu obscur, un recueillement, une introspection. Même si ce n’est pas un défi, il y a quand même des montagnes à gravir. In fine, un album fait grandir. Je ne suis pas le même homme qu’il y a dix ans.

Quels sens se développent quand on est sous-terre ?

Tous les sens se développent. Quand on écrit, il ne faut pas se complaire avec ses qualités. Dans ce métier, on ne fait que parler de soi. Lors des concerts, on est sous les lumières et, à la fin, on nous fait des compliments. On peut vite se prendre pour une rock star. Tout cela est périlleux. Il faut aller vers soi, vers une vérité avec certes une certaine hésitation. Et curieusement, la musique, c’est beaucoup de faiblesse, en fait.

Que ressentez-vous lors de ces changements entre les périodes de solitude et le retour à la scène ?

J’ai mis beaucoup de temps à me rendre compte à quel point ce métier est saisonnier. C’est un cycle. Une chanson peut mettre 4 jour à venir, avec une journée où tout se passe bien et trois jours très sombres. Même dans une journée, on passe par plusieurs phases. La vie est d’ailleurs un peu similaire. Puis, on part sur la route. C’est un processus un peu fou. Plus je vieillis, plus j’aime cette saisonnalité, cet aspect circulaire. Un album devient ainsi une photographie de vie.

Vous parlez beaucoup de silence dans cet album. Pourquoi ?

J’ai un amour pour le silence. Quand je vais boire un café, je choisis des lieux où il y a des personnes âgées parce qu’elles parlent moins fort. La lecture procure du silence. La musique classique, aussi. Pour moi, le silence du musicien est la toile blanche du peintre. Dans le jazz, aussi dans le blues, le silence, avant et après une note, a un sens. Le lieu où j’ai écrit l’album m’a imposé le silence. Quand j’étais fatigué, je me reposais sur un canapé et j’écoutais les bruits de l’extérieur, étouffés, lointains, voire mystérieux. Parfois, il y avait un vrai silence.

Vous avez été sous terre et c’est le rapport au sol qui revient souvent.

J’ai vu un documentaire sur Miyazaki qui travaillait toujours dans le même lieu et aux mêmes horaires pour se rassurer et retrouver le fil de la veille. Dans ce studio où j’ai passé quinze mois, j’ai écrit, peint, réécouté de vieux disques… Chaque jour, je reprenais le travail de la veille. Cela rendait ma démarche davantage connectée au sol et au-dessus.

Est-ce que cette interdiction de concert debout vous met en colère ?

Pas vraiment. Cette mesure peut enquiquiner quelques artistes. Très tôt, j’ai dû m’habituer et m’adapter à diverses contraintes. J’ai grandi au Liban et vécu dans des endroits différents. Avec le Covid, il faut vivre autrement. Tant qu’il y a de la musique et que l’on peut faire des concerts, il faut jouer.

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