Jérôme Rémy : “la littérature est la boussole du festival”

photo : Franck Castel

La Normandie porte un regard vers le nord de l’Europe du 10 au 20 novembre. Les Boréales, un festival de Normandie Livre & Lecture, proposent du 10 au 20 novembre une série de rencontres avec des autrices et des auteurs, des conférences, des concerts, des pièces de théâtre, des films, des expositions et des créations pluridisciplinaires. C’est la Suède qui est l’invitée d’honneur de cette 30e édition. Entretien avec le directeur artistiques des Boréales, Jérôme Rémy.

Voulez-vous rappeler quels sont les liens forts entre la Normandie et les pays scandinaves ?

Des premières invasions vikings via la Seine aux accords de collaboration avec la Norvège, en passant par la création d’un département d’études nordiques à l’Université de Caen Normandie ou le soutien matériel accordé par la Suède pour aider le Calvados à se relever des bombardements, la Normandie entretient avec les pays du Nord des liens étroits depuis des siècles. Dans notre région, de nombreux noms de lieux normands ont une origine scandinave. Criquebeuf, par exemple. Des noms de famille, comme Anquetil, des mots du vocabulaire quotidien, tels que la flotte, la mare, etc, trouvent leur origine en Scandinavie. C’est pour cela que nous parlons de la Normandie comme une région en Nord. Le festival Les Boréales a pour ambition de rendre vivant et contemporain ce lien séculaire qui demeure dans l’inconscient collectif.

En trente ans, le festival est passé d’un week-end littéraire à un temps fort de dix jours. Qu’est-ce qui a participé à ce développement ?

Il y a l’accueil du public, toujours plus nombreux et fidèle, et la volonté de proposer un festival nordique en France comme les festivals se pratiquent en Scandinavie : sans hiérarchie entre les genres et domaines artistiques et avec la ferme conviction que le crossover et les croisements de genre sont l’avenir. C’est le virage que nous avons pris en 1994 déjà et que j’assume depuis 28 ans en tant que directeur artistique de la manifestation.

 Pourquoi avez-vous fait le choix de la pluridisciplinarité ?

Parce que les pays nordiques sont des petits pays et que leur taille incite les artistes qui y vivent à se réinventer, à tenter des échappées belles vers d’autres champs artistiques. Et puis sans doute aussi parce que l’idée d’un festival monothématique nous a toujours semblé un archaïsme. Le festival, Les Boréales, est attentif à toutes les formes d’écriture. Romanesque, poétique ou théâtrale évidemment mais aussi aux grammaires chorégraphiques, musicales ou photographiques. On le sait tous, la danse est un langage, le nouveau cirque dit des choses avec engagement et la photographie dénonce et témoigne parfois même sur un plan politique. Il nous a semblé naturel d’inviter le spectateur à un voyage immobile en Europe du Nord à travers des approches différentes. Un embarquement de 10 jours vers la Scandinavie sans enfermer le public dans une case littérature, cinéma ou musique. Les pays nordiques sont des pays où la liberté, même si elle souvent bien organisée, est essentielle. Notre programmation se doit de rendre compte de cela.

Quelle place voulez-vous toujours donner à la littérature lors des Boréales ?

La littérature est la boussole du festival. Sa place est centrale dans la programmation annuelle. Cette année, ce sont 17 écrivains dont une large majorité de femmes auteures, qui viennent au festival pour la première fois. La Normandie a la chance de compter sur son territoire un nombre rare de traducteurs brillants pour le suédois, danois, norvégien, finnois et islandais. Ce tissu unique de compétences exceptionnelles font que le festival n’oubliera jamais d’où il vient. La littérature nordique reste un socle fondamental pour nous et pour le public.

Y a-t-il des thèmes récurrents qui traversent cette programmation 2022 ?

C’est avant tout une programmation pluridisciplinaire très suédoise mais aussi ouverte vers les autres pays nordiques et baltes. Je pense plutôt à des lignes de force comme la volonté de faire émerger de nouveaux visages artistiques pour ces 30 ans. Nous n’avions pas envie d’une édition rétrospective ou trop tournée vers le passé. On préfère se souvenir de l’avenir !

Après 30 éditions, réfléchissez-vous à une évolution des Boréales ?

Déjà, on savoure d’être arrivé à 30 ans. Pour un festival, ce n’est pas rien. C’est rare et il faut le souligner. Selon moi, cela repose sur deux axes majeurs. Tout d’abord, Les Boréales n’ont pas d’équivalent en Europe du Sud et hormis nos amis de Fika(s) à Montréal, il n’y a pas vraiment de festival nordique pluridisciplinaire en dehors de la Scandinavie. Mais surtout, je reste convaincu que le festival dure depuis 30 ans parce qu’il est en parfaite adéquation avec son territoire. Normand est lui-même un emprunt au vieux norrois norðmaðr, qui signifie « homme du Nord ». Les Boréales ont leur raison d’être en Normandie et leur ancrage historique à Caen dont la municipalité vient de renforcer ses liens avec la Scandinavie à travers son label Caen nordic. Si le festival a une histoire, il a aussi un avenir et un agenda pensé en concertation avec les pays nordiques. Cela nous amène jusqu’à 2027. Quant aux évolutions, il sera temps très bientôt de les imaginer avec nos partenaires financiers et avec les pays nordiques qui sont très attachés au festival. C’est toujours mieux de réfléchir à plusieurs et la concertation est aussi une valeur cardinale dans les pays du Nord.

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