La pochette de l’album, Clandestino, de Manu Chao, c’est lui. Celle du Phare de Yann Tiersen, c’est encore lui. Frank Loriou a signé de nombreuses pochettes d’album. Photographe et graphiste, il a traversé vingt-cinq années de créations musicales françaises. Témoin de l’évolution d’un secteur qui connaît sans cesse des soubresauts, il évoque au 106 à Rouen son parcours mardi 16 janvier lors d’une conférence et propose jusqu’au 22 mars une exposition d’une quarantaine de portraits dont ceux de Dominique A, Arman Méliès, Jeanne Cherhal, Yaël Naïm… Entretien.
Vous venez au 106 pour raconter 25 années de créations de pochettes de disques. Quel a été le point de départ ?
C’est un long chemin. Je suis un autodidacte dans beaucoup de domaines parce que je n’étais pas adapté au système scolaire. J’ai appris tout seul. Ce parcours est une suite d’étapes. La musique a toujours été ma passion. Plus que l’image. Pendant dix ans, j’ai travaillé dans l’imprimerie, dans les métiers du livre. Je faisais du graphisme. J’ai ensuite orienté ce travail vers le monde de la musique.
Pendant vingt-cinq ans, le monde de la musique a beaucoup évolué. Que retenez-vous de cette période ?
La place de la musique a en effet beaucoup changé. Il y a vingt-cinq ans, un disque était un vrai trésor. On se faisait écouter les musiques que l’on venait d’acheter. Il y avait une forme de transmission dans ce bouche à oreille. Aujourd’hui, la musique est entrée dans toutes les strates de la société. Mon travail a évolué dans ce sens. Quand j’ai commencé, c’était comme un acte sacré. J’ai toujours cette chance inouïe, ce luxe. La musique, c’est de la haute couture. Aujourd’hui, elle est malheureusement dévalorisée. Ma passion reste intacte : je crée des images. J’aide les artiste à se montrer tels qu’ils sont.
Pourquoi parlez-vous de luxe ?
Je travaille toujours de la même manière. Je cherche à faire la pochette que j’aimerais trouver au pied du sapin de Noël, celle qui fait rêver. Je veux garder ce côté sacré et ce luxe de la musique.

Comment parvenez-vous à, comme vous dites, montrer les artistes tels qu’ils sont ?
Je ne sais pas si j’y arrive. Pour les personnes que je photographie, comme Yann Tiersen, Dominique A, Jean-Louis Murat, Manu Chao, se montrer est un sacrifice. Alors, il faut trouver un compromis. Cela demande du temps. Je ne veux surtout pas les trahir, aller à l’encontre de leurs valeurs. La pochette d’un album est une œuvre artistique. Et une photo n’est jamais une vérité.
Pourquoi ?
Une photo ne dit pas la vérité mais une vérité. Pendant trois heures, vous pouvez photographier mille visages de la personne qui est face à vous. Je cherche le plus émouvant, le plus troublant.
Comme y parvenez-vous ?
Il faut tout d’abord aimer la personne. Il y a une rencontre. C’est très beau. En quelques heures de photo, vous la connaissez bien et elle vous connaît bien aussi. Pendant ce travail, nous touchons à des choses primaires. Je te regarde et je te dis que tu es beau. Et je vais transmettre ce que je vois de toi. J’arrive à recueillir plein de choses. Lors de ce moment-là, on est dans une intimité, dans la confidence. J’essaie de donner des clés sans jamais trahir l’intimité de l’artiste. En fait, le portrait, c’est une vraie rencontre et ce n’est jamais neutre.
Avant la rencontre, il y a aussi l’écoute des albums.
J’écoute des maquettes, des stades intermédiaires des titres. Quand je travaille, l’album n’est pas terminé. C’est très étrange. Je dois donner un visage à un enfant que les artistes ont conçu et qui n’est pas encore né. Cela demande de l’empathie et de la précaution. En même temps, c’est très joyeux.

Vous considérez-vous aussi comme un metteur en scène lorsque vous photographiez ?
Certains photographes créent en effet des mises en scène. Je ne suis pas de ceux-là. Pour moi, tous les moments peuvent être justes. Il suffit de les habiter. Un col de chemise qui dépasse, par exemple, ça me va. Tout est signifiant. Quand je travaille avec un artiste, nous déterminons un lieu et un fond de couleurs. Nous organisons un rendez-vous. C’est un moment pendant lequel nous créons un tableau.
C’est alors très instinctif.
Oui, tout à fait. C’est aussi un peu ma manière de fonctionner dans la vie. J’aime bien être dans une forme d’animalité, garder une intuition. Si une idée me traverse, je m’arrête et j’essaie. C’est vraiment un moment de création. Comme quand l’artiste doit monter sur scène. Même si ce n’est pas le bon moment, il faut y aller.
Quelles pochettes avez-vous souhaité montrer lors de cette exposition ?
Il y a des pochettes connues et d’autres moins. Je suis allé piocher dans mes archives de manière instinctive. J’ai choisi des images qui ne sont imposées à moi. Quant à la conférence, c’est l’occasion de parler de mon travail et de dire ce qu’est une pochette de disque.

Infos pratiques
- Conférence sur 25 Ans de création de pochettes de disques par Frank Loriou : mardi 16 janvier à 19 heures
- Exposition Face à face : du mardi 16 janvier au vendredi 22 mars, du lundi au vendredi de 12 heures à 18 heures, les samedi et dimanche, les jours de concerts, de 14 heures à 18 heures
- Au 106 à Rouen
- Entrée gratuite
- Renseignements au 02 32 10 88 60 ou sur www.le106.com
- Aller à la conférence et à l’exposition en transport en commun avec le réseau Astuce