La musique psychédélique le touche tout particulièrement. Tant et si bien qu’Alain Pire a commencé à effectuer des recherches sur ce courant musical avant d’écrire une thèse et une Anthologie du rock psychédélique anglais. Sur le sujet, le musicien belge, à la tête du groupe Alain Pire Expérience, est intarissable. Il a donné une conférence ce mardi 3 décembre au 106 à Rouen devant une exposition de pochettes d’albums de Rock psychédélique européen 66-71, à découvrir jusqu’au 28 février 2025. Entretien.
Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser et à écrire sur la musique psychédélique ?
C’est une passion de toute une vie. J’ai grandi avec les Beatles et plusieurs autres groupes et j’ai remarqué une évolution de la musique entre 1964 et 1966. J’ai voulu comprendre ce qui s’était passé pendant deux ans et demi. C’est devenu le sujet de ma thèse de doctorat. Comme j’ai toujours été attiré par cette musique, j’ai souhaité en savoir plus. C’est une période très créative. En 1966, Londres est la capitale du monde.
Qu’est-ce qui vous a interpellé ?
En tant que musicien, ce qui m’a frappé, ce sont les nouveaux sons, les nouveaux styles. J’ai voulu comprendre comment on en était arrivé là.
A-t-il fallu un contexte particulier ?
On parlait des Trente Glorieuses. Oui, il y a un contexte économique favorable en Occident. Il est possible de faire ce que l’on a envie de faire. Le contexte est bien différent aujourd’hui. Il y a ainsi la place pour une contre culture. Hasard de l’histoire, arrivent plusieurs musiciens talentueux au même moment. Comme Paul McCartney, John Lennon, Keith Richards, Mick Jagger, Jimi Hendrix… À la fin de la Seconde Guerre mondiale, s’ouvrent en Angleterre des écoles d’art. Des jeunes vont s’engouffrer dans des études artistiques. Pas mal de groupes se sont formés parce que leurs membres fréquentaient ces Art Schools. Là, ils sortaient de l’adolescence et ont pu développer leur art et avoir une maturité musicale. À côté de cela, il y avait un public prêt à entendre cette musique. Il était très réceptif. De la moitié des années 1960 jusqu’au début des années 1970 est une période de complexification de la musique avec une évolution des technologies. Il y a par ailleurs un grand nombre de progrès avec les électrophones, les premiers casques. Les jeunes pouvaient écouter dans leur chambre les musiques qu’ils voulaient.
Vous faites une différence entre ce qui s’est passé aux États-Unis et en Angleterre. Pourquoi ?
Dans ces deux pays, à cette époque, il y a une volonté de vivre pleinement, un rejet du matérialisme et du consumérisme et une volonté d’un retour à la nature. C’est le début de l’écologie. Il y a une vraie prise de conscience. Aux États-Unis, il y a un grand rejet de la guerre. Les jeunes étaient envoyés au Vietnam et ne comprenaient pas pourquoi il fallait se battre. En Angleterre, il y avait une peur d’un conflit nucléaire. Des marches partaient d’Aldermaston, site atomique, et allaient jusqu’à Trafalgar Square à Londres. C’était un mouvement pacifiste. John Peel, dj de la BBC, a même dit : je pensais que nous allions changer le monde.
Ce mouvement ne concerne pas seulement la musique.
Non, il y a aussi la mode, l’architecture, la sculpture, la peinture… George Harrisson parlait d’une mini Renaissance. Il y a une explosion de créativité. Toutes les semaines sortaient un album devenu culte aujourd’hui. Cela m’a fasciné.
Quelle définition donnez-vous au mot psychédélique ?
Ce mot est né dans les années 1950. C’est un néologisme signifiant qui révèle l’âme. Ce mot est lié aux drogues et notamment au LSD. Albert Hofmann, un chimiste, cherchait un stimulant circulatoire. Lors d’une expérience, il a léché son doigt et a vécu un événement perturbant. Il a découvert le LSD. Définir une musique psychédélique est difficile. On peut dire que c’est une traduction musicale d’une expérience vécue après l’absorption de LSD. C’est quelque chose de très personnel. Dans un morceau psychédélique, il doit se passer quelque chose au niveau de l’interprétation, des arrangements, du jeu de guitare. Il faut de l’étonnement, de la surprise.
Pourquoi cette période a duré seulement un peu plus de deux ans ?
La musique n’a jamais cessé d’évoluer. Elle change tout le temps. Dans les années 1990, il y a eu un revival avec The Stones Roses ou Tame Impala qui vient, lui, d’Australie. On parle alors de néo-psychédélisme et on sent bien la filiation. Une autre caractéristique de la musique psychédélique, c’est l’improvisation. C’est un facteur clé. On constate un allongement de la durée des morceaux et c’est très nouveau dans le rock. Les concerts de Grateful Dead pouvaient durer quatre heures.
À la musique est lié un univers visuel avec des pochettes d’albums complètement différentes ?
Il y a là aussi une traduction visuelle de ce que les groupes avaient vécu comme expérience. Les pochettes sont colorées. Comme les posters. On peut assister à des spectacles multimédia et immersifs.
Quel est pour vous le titre emblématique de cette période psychédélique ?
C’est Tomorrow never knows, écrit par John Lennon. C’est un ovni, ce titre. On entend des parties de sons à l’envers. Il y a des effets de pédales incroyables. Lennon demande à ce que sa voix sonne comme celle du Dalaï Lama au sommet d’une montagne. Sa voix est alors passée dans une cabine Leslie. Durant leur carrière qui a été courte, les Beatles ont toujours été en évolution. Ils n’ont jamais fait les deux même albums.
Infos pratiques
- Jusqu’au 28 février, du lundi au vendredi de 12 heures à 18 heures, les samedi et dimanche, les jours de concert, de 14 heures à 18 heures au 106 à Rouen
- Gratuit
- Aller au voir l’exposition en transport en commun avec le réseau Astuce