Né à Vernon, il y a une trentaine d’années, Quentin Dolmaire s’est fait connaître dès son tout premier rôle au cinéma dans Trois Souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Depleschin, rôle pour lequel il a été nommé au César du Meilleur Espoir masculin en 2016. Depuis, le Normand n’a cessé de confirmer son talent et sa personnalité, de Sage Femme de Martin Provost à Niki de Céline Sallette, en passant par Le Redoutable de Michel Hazanavicius.
Dix ans après sa première apparition sur grand écran, Quentin Dolmaire est de retour aujourd’hui dans Une Pointe d’amour de Maël Piriou, remake du film flamand, Hasta la Vista de Geoffrey Enthoven. Mûri, le visage encadré d’une fine barbe, le comédien se retrouve piégé dans un fauteuil roulant mais partant pour un road-movie avec sa meilleure amie — incarnée par la lumineuse Julia Piaton —, handicapée elle aussi. Tous les deux embarquent dans un véhicule rustique conduit par Lucas, un chauffeur taiseux joué par le tout aussi taiseux, mais fort sympathique Grégory Gadebois. Pour Benjamin et Mélanie, il est grand temps de profiter de la vie et pourquoi pas rejoindre l’Espagne où ils pourront explorer enfin leur sensualité dans une maison close adaptée à leur condition. Curieusement, Benjamin ne semble pas pressé d’arriver à destination… Lors d’une avant-première rouennaise, Quentin Dolmaire a répondu à nos questions.
Comment êtes-vous arrivé sur le projet de Maël Piriou ?
D’une manière très classique : par le biais d’un casting. Pour tout vous dire, le premier tour ne s’est pas bien passé. Je revenais d’un tournage où j’avais joué dehors sept jours sur sept et j’étais complètement à côté de mes pompes. Plus tard, Maël (NDLR : Piriou) m’a dit qu’il avait failli ne pas me revoir mais heureusement, lors du deuxième tour avec Julia Piaton, il a été convaincu.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans ce rôle ?
Le handicap de Benjamin, toute cette tétraplégie, c’était à la fois quelque chose qui m’effrayait, m’impressionnait, me posait des questions de crédibilité, et en même temps, c’était une espèce de défi, j‘avais un appétit d’acteur pour ça. Ce qui m’a permis de croire en ma légitimité. Ça a été de trouver un lien, une ressemblance avec d’anciens rôles que j’avais pu avoir au cinéma, avec des personnages de tourmentés, solitaires.
Et au-delà du rôle ?
Ce qui m’intéressait aussi beaucoup, c’était le trio d’acteurs. Je n’avais jamais connu ça. Et puis cet espèce de huis clos itinérant, c’était la promesse d’un tournage comme je n’en avais jamais vécu puisque je n’ai jamais fait de road-movie. Je me demandais ce que ça allait être, cette intimité intensifiée pendant un mois et demi avec deux autres acteurs qui, par ailleurs, même si j’avais envie de jouer avec eux, m’impressionnaient.
Et finalement, comment avez-vous trouvé Julia Piaton ?
Julia, c’est typiquement une comédienne dont la plus grande qualité est celle que tout comédien devrait avoir : être dans le concret, tout le temps. Et en plus, chez Julia, ça coïncide avec un talent comique toujours présent chez elle. J’avais très envie d’explorer mon rapport à la comédie avec elle. Je suis très admiratif de sa précision. Et puis, on était tous les deux reliés par le handicap de nos personnages. On en a beaucoup parlé.
Et Grégory Gadebois ?
C’est l’immense acteur que l’on connait tous, il a une réelle humanité. Il n’est pas bavard mais on sait que chacune de ses répliques sera hallucinante. On s’est très bien entendus. Très vite, il m’a appelé gamin… Il disait : « Ça va gamin ? » On parlait de tout et de rien. Mais je restais tout de même très impressionné.
Jouer dans un fauteuil roulant, est-ce un inconvénient ou un avantage ?
Jouer en fauteuil m’a permis de mieux concrétiser l’impuissance de Benjamin, l’impuissance dans tous les sens du terme. Et, en en prenant conscience, ça m’a permis aussi de décupler cette espèce d’éloquence que possède Benjamin.
Comment vous êtes-vous préparé pour endosser son handicap ?
Julia et moi, nous avions un chorégraphe paraplégique, un ancien danseur qui nous a aidés par exemple à manier les fauteuils. Il y avait aussi des ergothérapeutes qui vérifiaient tout le temps si ce que l’on faisait était crédible, Moi, j’ai aussi été aidé par un youtubeur tétraplégique qui montre son quotidien sur les réseaux et qui a, en partie, inspiré mon personnage. En fait, Benjamin, il ne peut pas bouger, mais en plus, il ne parle pas beaucoup non plus. Il est impuissant à faire, impuissant à dire, impuissant à tout.. Je n’avais pas grand-chose sur lequel m’appuyer pour jouer. Heureusement, il y a quelque chose qui le porte…
Mais ça, on ne peut pas en parler puisqu’on le découvre progressivement au fil du voyage… Dans ce genre de film, comment le comédien aborde-t-il le réalisme ?
Par rapport au réalisme, j’ai raisonné en me disant qu’il fallait rendre crédible la tétraplégie de Benjamin. Je n’avais pas envie d’en faire trop d’abord parce que, en tant qu’acteur valide, je trouvais que je n’aurais pas forcément été à ma place, et en plus, je me suis rendu compte que c’était ça le film de Maël : être pudique, ne pas tomber dans le pathos. Finalement, l’impuissance de Benjamin s’exprime aussi par une sobriété dans le jeu.
Vous paraissez plus mûr dans la peau de Benjamin qui, pourtant, est censé avoir votre âge. Comment fait-on pour se vieillir?
Maël trouvait que je faisais un peu trop jeune alors il m’a demandé de me laisser pousser la barbe. C’est tout bête… Mais peut-être aussi que le fait d’être resté dans un fauteuil roulant pendant un mois et demi m’a donné une forme de pesanteur qui a accentué la gravité. En tout cas, ça marche parce que certains spectateurs ne me reconnaissent pas. Et c’est plutôt plaisant.
- Une Pointe d’amour de Maël Piriou (France, 1h30) avec Julia Piaton, Grégory Gadebois, Quentin Dolmaire…