Karima El Kharraze : « Il faut créer des histoires communes »

karimaelkharrazeEn décembre 2015, une quinzaine d’acteurs et actrices culturels créent Décoloniser les arts. Un collectif, aujourd’hui de 150 personnes, qui dénonce avec force l’absence dans les théâtres, dans les programmations et sur les plateaux les artistes « racisés ». Pourtant, selon l’INSEE, 30 % de la population française n’est pas blanche. Elle n’est donc plus une minorité. Décoloniser les arts mène différents débats et actions, surtout s’interroge sur ce manque de représentativité. Parce que le constat est accablant. Environ 10 % des projets théâtraux présentés dans les salles sont portés par des artistes issus des minorités. Le CDN de Normandie Rouen organise avec l’association du 11 au 13 octobre les Journées de la diversité culturelle à Rouen. Entretien avec Karima El Kharraze, autrice, metteuse en scène et membre de Décoloniser les imaginaires.

 

Le collectif existe depuis plusieurs mois. Quels retours avez-vous eu de la part du monde culturel ?

Il y a des initiatives qui émergent, qui font écho à ce que nous défendons. Nous voulons avant tout susciter le débat. Comme lors des Journées de la diversité culturelle qui devaient se dérouler en partenariat avec le ministère de la Culture et de la Communication. Mais nous n’avons pas de partenariat fort.

 

Êtes-vous déçus ?

Nous ne sommes pas surpris. Nous entrons dans une période pré-électorale. Nous abordons un sujet épineux parce qu’il soulève un certain nombre de questions qui n’ont jamais été résolues.

 

La culture a exclu et exclut encore ?

Tout à fait et les gens sont souvent très surpris. Aujourd’hui, nous avons besoin de faire un comptage. Il y a notre ressenti d’artistes et nos expériences vécues grâce à nos différentes professions (comédiens, metteurs en scène, danseurs, auteurs et autres professionnels de la culture). Ce ressenti est similaire. Peut-être que la réalité est encore pire.

 

Dans le monde de la culture, on ne voit pas ou on ne veut pas voir ce manque de représentativité ?

La France est dans une forme de déni par rapport à sa propre histoire. La thématique coloniale n’a jamais été réellement amenée dans l’espace public. Il n’y a pas de débats, pas d’œuvres sur ce sujet. Dans la tête des programmateurs, on continue à être sur une forme de pensée coloniale. On renvoie à un ailleurs une partie de la population française. Pourtant la présence noire est bien antérieure à cette époque. On assiste à un racisme d’omission. On relègue ainsi toutes ces personnes dans des espaces autres. On sépare les Noirs, les Arabes dans des espaces autres sur le plan géographique et symbolique. Au nom d’une république une et indivisible, on a tendance à ne pas voir cette discrimination, à ne pas se confronter à sa propre manière d’exclure. Les arts sont colonisés, comme toute la société française.

 

Que peut le théâtre pour décoloniser ?

Le théâtre est un art de la représentation. Il est censé donner une représentation du monde. Il parle de nos interrogations politiques et doit représenter le public. A travers l’illusion, le théâtre permet de réinventer le réel. Or, très souvent, dans cette invention, dans ces discours, il y a toute une partie de la population qui ne se reconnaît pas. Si le théâtre ne fait cet effort, l’avenir est tout tracé. Il faut créer des histoires communes. Plus on le fera, plus on aura plaisir à se retrouver.

 

Comment vous faire entendre lorsque les discours politiques sont contraires ?

Nous sommes dans un double mouvement. Il y a une interpellation des institutions, des différents lieux de spectacle, des réseaux de diffusion et de production. Nous voulons aussi être visible dans la rue. Lors de la dernière cérémonie des Molière qui avait nommé seulement une artiste « racisée » sur les 86, nous avons manifesté. Nous voulons également obtenir des chiffres, sans demander de quotas. Parce que nous ne sommes pas dans une logique de contrainte. A force de faire réfléchir, sous forme de diverses actions, nous aurons de plus en plus des personnes conscientes de cette question. Nous parlons d’un racisme d’omission. La majeure partie de la population n’est pas dans une logique raciste.

 

 

 

Le programme des journées de la diversité culturelle

Mardi 11 octobre au musée des Beaux-Arts à Rouen (entrée libre)

  • 14 heures : ouverture du colloque
  • 14h15 : conférence Des Magiciens de la terre à Carambolages par Jean-Hubert Martin, ancien directeur du musée national d’art moderne et du musée des arts d’Afrique et d’Océanie
  • 15h45 : table ronde sur La Diversité des patrimoine, enjeux d’histoire
  • 16h15 : table ronde sur La Diversité des publics, enjeux d’aujourd’hui
  • 17h30 : synthèse et conclusion

Mardi 11 octobre au théâtre des Deux-Rives à Rouen

  • 20 heures : Paris, d’après Mélo de Frédéric Ciriez, mise en scène de David Bobée, avec Marc Agbedjidji, Angelo Jossec, Marius Moguiba. Tarifs : 18 €, 13 €. Réservation au 02 35 03 29 78 ou sur www.cdn-normandierouen.fr
  • 21h30 : projection de Le Bleu blanc rouge de mes cheveux de Josza Anjembe. Tarifs : 5,50 €, 4 €.

Mercredi 12 octobre à la Mam Galerie à Rouen

  • 18 heures : vernissage de l’exposition collective. Entrée libre

Mercredi 12 octobre au théâtre des Deux-Rives à Rouen

  • 19 heures : projection de Le Bleu blanc rouge de mes cheveux de Josza Anjembe. Entrée libre.
  • 19h30 : lecture de textes de Tony Morrison par Eva Doumbia avec les élèves de l’école régionale d’acteurs de Cannes. Entrée libre.

Mercredi 12 octobre à l’Omnia à Rouen

  • 21 heures : projection de La Ligne de couleur de Laurence Petit-Jouvet. Tarifs : 5,50 €, 4 €.

Jeudi 13 octobre au théâtre des Deux-Rives à Rouen. Entrée libre

  • 10 heures : introduction de Karine Gloannec-Maurin, haute fonctionnaire en charge de la diversité au Ministère de la Culture
  • 10h30 : rencontre avec le collectif Décoloniser les arts
  • 14 heures : rencontre avec l’office national de Diffusion artistique
  • 16h30 : performance de Medhi George Lalhou

Jeudi 13 octobre au Rexy à Mont-Saint-Aignan

  • 20 heures : Finir en beauté de Mohamed El Khatib. Tarifs : 14 €, 9 €. Réservation au 02 35 03 29 78 ou sur www.cdn-normandierouen.fr