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# 7 / en confinement dans les home studios

Les musiciens et musiciennes vivent différemment ce confinement après l’arrivée du Covid-19 en France. Les artistes normands comptent les dates de concerts annulées ou reportées et se réfugient dans les home studios.

Jouer ? Ne pas jouer ? Le vendredi 13 mars, la question s’est posée pendant de nombreuses heures. Le Poème harmonique était à la Maison de la culture à Amiens pour présenter Coronis, une œuvre oubliée de Sebastián Durón. « Nous avons attendu jusqu’à la fin de l’après-midi. Ce fut quelque chose de violent quand nous avons appris l’annulation. Certains artistes sont restés sur place. D’autres sont partis. C’est la première fois que l’on avorte un spectacle. Nous sommes tous rentrés sans cette sensation de partage. C’est une grande frustration », confie Vincent Dumestre, directeur artistique de la formation.

Des tournées sans fin

L’arrêt de l’activité musicale a été brutal. Certains étaient en pleine tournée avec un nouvel album. Comme King Biscuit avec Hammer it. « C’était une grosse période de boulot. Beaucoup de concerts ne vont pas être reportés. Dans les musiques actuelles, on suit l’actualité d’un groupe. S’il n’y a pas de sortie de disque, les salles ne nous programment pas parce que tout cela n’a plus de sens », explique Sylvain Choinier, fondateur du groupe. Pas de tournée non plus en mars et avril pour MNNQNS. « Nous travaillons au report en septembre et en octobre. La question des festivals cet été est en suspens. On croise les doigts. Je pense que le 4 titres qui prolonge l’album devra aussi être reporté. C’est dommage. Nous étions contents de ce qui se passait pour nous. Il faudra reprendre le rythme », ajoute Adrian Dépinay.

Pour Joad, c’était la fin de la tournée des 10 ans. « Nous avions encore quelques belles dates, rappelle Vincent Blanchard. Notamment celle au Trianon, la salle qui nous a le plus soutenus. Là-bas, j’y ai fait le deuxième concert de ma vie. C’était le 2 avril 1990. À 5 jours près, je fêtais mes 30 ans de musique au Trianon. Si on reporte, on ne pourra pas être dans cet anniversaire. On passera à la saison suivante avec de nouvelles chansons ».

Pas de Purcell, de Bach et d’Yvette Guilbert pour les Musiciens de Saint-Julien et pas d’enregistrement non plus, comme il était prévu. Pas d’enregistrement non plus pour le Poème harmonique qui devait laisser une trace de Coronis. Avec Santa Cruz, Thomas Schaettel avait envisagé «  deux séances de préproduction. Nous sommes en pleine préparation du prochain album ». Les quatre garçons de Tahiti 80 n’ont pas changé leurs habitudes. Ils échangent « par correspondance et espèrent sortir un single cet été », confie Médéric Gontier. La chanteuse, Amélie Affagard voit 140 heures d’action culturelle s’envoler. « C’est un travail qui ne va pas aboutir et qui m’a demandé près d’un an de préparation. Cela va être une année entière de galère ».

” Un cataclysme”

Comme au théâtre, en danse et au cirque, il y a donc de nombreuses dates annulées jusqu’à la fin du mois d’avril pour les ensembles et les groupes musicaux : 8 pour le Poème harmonique, une vingtaine pour MNNQNS, 6 pour Deleyaman, Joad et La Maison Tellier, 7 pour Les Musiciens de Saint-Julien, une dizaine pour We Hate You Please Die, 5 pour Ellah A. Thaun, 2 pour Tahiti 80 et pour Christine, une trentaine pour King Biscuit. 

Pourtant jouer, c’est vital pour ces artistes. Ellah A. Thaun qui tourne beaucoup parle de « catastrophe. Si je n’ai pas un concert en mai, il faudra que je trouve un job alimentaire pour le mois de juin. Je comptais sur ce printemps et ce début d’été pour envisager la suite ». Thomas Schaettel, musicien havrais voit « un cataclysme ». Philosophe, il sait que « le secteur est précaire. Nous sommes un peu habitués à cela. Nous ne savons jamais de ce que sera fait demain. Les inquiétudes sont très grandes ».

Le présent est très important pour les musiciens et les musiciennes. Aujourd’hui, il est sans concert. Comment alors ne pas se faire oublier ? Tous ne sont pas d’accord pour être sur les réseaux sociaux. Là, « le sens du partage perd de sa force », estime Aret Madillan du groupe Deleyaman. Et l’avenir ? « Notre travail consiste à organiser cet avenir. Aujourd’hui, nous sommes plus dans le sauvetage de la situation que dans les projets qui viennent. Il y aura forcément des répercussions », commente François Lazarevitch. Il est difficile pour tous d’écrire une suite. « Nous sommes dans le flou. Une seule chose est sûre : il y aura de la casse », remarque Nicolas Lerille de Christine.  De son côté, Vincent Dumestre se demande « comment recommencer. La réponse dépend de la rapidité dont on va sortir de la crise. Pourrons-nous aller à l’autre bout de la planète ? Nous savons qu’il faudra réviser notre façon de faire, de produire et notre rapport au public ».

“Être dans la créativité”…

Aujourd’hui, les musiciens et les musiciennes se réfugient dans leur home studio. Comme toujours pour Ellah A. Thaun, artiste très créative, qui voit sa vie « comme une sorte de confinement. Je lis, je travaille, j’écris un roman. C’est mon rêve, l’écriture ». Même isolement pour Aret Madillan de Deleyaman : « en règle générale, après la sortie d’un album, on répète et on joue. Là, on retourne en studio plus tôt sans calcul de ce que l’on va faire avec ce qui en sortira. Il faut être dans la créativité pour éviter l’inactivité et surmonter le stress. Cependant, l’écriture, c’est notre vie quotidienne. En temps normal, on se confine aussi pour composer. Sauf qu’aujourd’hui, il y a un danger à l’extérieur ». Raphaël Balzary de We Hate You Please Die « avance sur le deuxième album » et « se réapproprie la notion du temps. Cela repose aussi la planète et on croise les doigts pour qu’il y ait le moins de victimes possible ».

Nicolas Lerille de Christine  vit « bien ce confinement. Le monde s’est ralenti. Il est possible de de se focaliser sur ce qui m’intéresse le plus : travailler dans le studio à la maison. C’est le moment de composer, de se concentrer sur soi. Ces derniers temps, j’ai beaucoup travaillé pour les artistes du label (Mouton noir, ndlr) ». Pour Adrian Dépinay de MNNQNS, ce bouleversement « arrive au bon moment en fait. Tourner prend du temps. Là, nous pouvons être avec nos proches. La période des concerts est fatigante et pas vraiment idéale pour travailler sur du neuf. Depuis le confinement, je n’ai jamais autant reçu de propositions de collaboration ».

… ou pas

Quant à Sylvain Choinier, il profite de cette période pour « combler des lacunes. Je suis une formation sur le net sur un logiciel. Il faut transformer tout cela en choses positives ». À La Maison Tellier, « tout est sur pause mais il y a pas mal de choses sur le feu. Nous avons quelques nouveaux morceaux. Comme d’habitude, nous travaillons à distance. Nous tentons de tirer profit de cette inaction forcée après le moment de sidération », raconte Helmut Tellier. « Après la stupéfaction, il y a ensuite l’adaptation, pour Vincent Dumestre. Il faut prendre conscience de ne pas pouvoir exercer son métier. Nous avons aujourd’hui compris que ce serait long ».

Pour d’autres, il est plus compliqué de se concentrer. François Lazarevitch espère « se libérer la tête pour mûrir des projets futurs ». Vincent Blanchard reste préoccupé : « il est difficile de se mettre dans un contexte, dans une ambiance. De chez moi, je vois des rues vides. J’ai envie d’écrire des choses légères mais j’ai peur d’être dans des ambiances sombres. Il faudra donner un peu de légèreté à la suite. Ce n’est vraiment pas évident ». Thomas Schaettel se sent « pour la première fois au chômage. Cette sensation est très particulière. Je n’ai pas la tête à jouer ou composer de la musique. Je ne suis pas du tout inspiré. Je suis plus dans le bricolage et le rangement ». S’il est difficile d’entrevoir un horizon, l’après est déjà dans toutes les têtes.