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# 34 / Catherine Morin-Desailly : « En terme de droits culturels, il faudra avoir une gestion du public »

Catherine Morin-Desailly, sénatrice, présidente de la commission Culture, de l’Éducation et de la Communication, conseillère régionale en Normandie, analyse l’impact de la crise sanitaire sur le milieu culturel. Entretien.

Comment analysez-vous la situation dans le secteur culturel ?

Elle est compliquée. Il y a beaucoup d’inquiétude. C’est un secteur qui est fortement touché. Les pertes de recettes sont très importantes. Encore aujourd’hui, il y a une certaine absence de visibilité sur ce qui va se passer. Il ne faut pas oublier que ce milieu, avec une variété de métiers, fonctionne en cascade. Nous ne voyons pas toujours qu’il constitue un écosystème complexe dans lequel tout se tient. Le secteur culturel vit des subventions, pas exclusivement de recettes commerciales. Ce qui va permettre d’amortir le choc. Des dispositifs s’ajoutent et vont contribuer à la relance. N’oublions pas qu’il représente aussi 3,2 % du PIB. Nous savons que ce chiffre est supérieur à celui de l’automobile. Par ailleurs, la culture nourrit le tourisme parce que le patrimoine en fait partie.

Quels enseignements faut-il tirer de cette crise sanitaire ?

Il ’est encore difficile de répondre à cette question. Nous sommes à la merci d’une crise à tout moment. Très concrètement, il y a de très bonnes pratiques financières. Je pense que la transition numérique va s’accélérer. Cette crise catalyse toutes les fragilités. Il est nécessaire de mener une réflexion sur les nouveaux outils à utiliser. Par exemple, pour le livre, il faut inciter à la création d’une plateforme régionale afin d’offrir à chacun la possibilité de commander en ligne. Dans d’autres secteurs, comme l’audiovisuel, on ne peut pas se contenter de demi-mesures. Nous l’avons vu. Il y a une forte concurrence avec les plateformes américaines qui ont profité de cette crise. Quant au spectacle vivant, c’est une économie particulière puisqu’elle est subventionnée et s’accompagne de ressources complémentaires qui sont les recettes propres. Là, tout va dépendre des envies du public. Cette prolongation des droits pour les intermittents est quand même assez exceptionnelle. 

« Avant tout, il faut une réponse cohérente »

Faut-il alors plusieurs réponses ?

Oui, il faut une variété de réponses à donner en fonction des compétences des collectivités et de ce qu’elles peuvent apporter. Avant tout, il faut une réponse cohérente et une coordination. C’est pour cette raison que le président de la Région Normandie a voulu une cellule de crise réunissant plusieurs acteurs.

Que pensez-vous du plan culture annoncé il y a plusieurs semaines par le président de la République ?

Il a été tardif. D’où l’inquiétude de la profession. Mais ces annonces ont fait un flop à cause de la forme de son intervention. Il a renvoyé du milieu culturel l’image d’un secteur bobo. Il est normal que les acteurs de la culture ne se soient pas sentis pris au sérieux et ne soient pas considérés. Aurait-il fait la même chose devant les entrepreneurs du CAC 40 ? Le président de la République a aussi montré une réelle méconnaissance du secteur. 

Comment est-il possible encore de défendre aujourd’hui les droits culturels ?

Les droits culturels sont inscrits dans le cahier des charges de la plupart des structures que nous soutenons. La Région a mis en place des labellisations et porte cette exigence via ces conventionnements. Toutes doivent respecter ce cahier des charges. Donc rien ne change. Ces derniers mois, nous avons vécu éloignés des structures culturelles, des festivals, des lieux d’exposition… Le problème se situe alors en terme d’accessibilité. Pendant le confinement, il y a eu une forme de créativité, des nouveaux formats, des nouveaux outils afin que les artistes ne perdent pas ce lien avec le public. Cela ne remplacera jamais le contact entre humains, le partage de l’émotion. Je crains cependant qu’une certains habitude soit prise. Il est plus facile de rester devant son écran. D’autant qu’il y a eu une offre pléthorique sur les plateformes. Il est important désormais de désamorcer l’angoisse du public. Je pense que l’été va permettre d’apaiser tout cela. En terme de droits culturels, il faudra avoir une gestion du public, aller le chercher.

« Apporter un autre souffle »

Êtes-vous confiante ?

Je reste confiante. Nous avons été privés de culture. Il y a des envies de partage, de socialisation. Je crains néanmoins que beaucoup soient frappés économiquement et n’aient plus les moyens de retourner dans les salles. Il faudra veiller à cela. Je suis aussi très sensible au fait de porter les droits culturels dans les Ehpad, dans les hôpitaux. Il va y avoir un gros travail.

Selon vous, les collectivités territoriales ont-elles joué pleinement leur rôle ?

Complètement, la Région a crée des fonds d’urgence mais les collectivités territoriales vivent de recettes décidées par l’État. Les structures culturelles vont se retrouver face à des réalités. Au-delà des aides, chacune devra faire un effort. Nous sommes dans une réalité économique très dure. 

Vous avez dit qu’il y avait beaucoup d’inquiétude dans le milieu culturel. Comment rassurer les acteurs et les actrices de ce secteur ?

Nous avons fait beaucoup pour les rassurer et nous avons été très présents. Nous avons remonté de nombreuses informations au gouvernement. Tout dépendra de l’état des finances. C’est un peu le serpent qui se mord la queue. Dans la région, nous avons maintenu Normandie impressionniste. Même si on n’aura pas les recettes escomptées, le festival va impulser une dynamique et des possibilités de sortie, retisser des liens, redonner de la perspective et de la confiance. Nous n’avons pas non plus cessé de travailler sur l’année Flaubert. C’est une façon d’apporter un autre souffle, de l’envie. Il faut arriver à recréer un cercle vertueux. Mais tout repart tout doucement.

photo : Catherine Morin-Desailly © Éric Robert