Catherine Dewitt : « Le théâtre a investi toute ma vie »

Elle était drôle dans le rôle de La Negroni, princesse déjantée, dans Lucrèce Borgia, émouvante dans celui de la mère de Peer Gynt. Deux pièces qu’a mises en scène David Bobée. Catherine Dewitt illumine les plateaux par sa présence, son élégance. Comédienne, dramaturge, elle va quitter son poste d’artiste permanente au CDN de Normandie Rouen à la fin de l’été mais pas la scène. Impossible pour elle d’oublier du jour au lendemain le théâtre qui est une de ses passions. Catherine Dewitt sera à l’affiche du Iench d’Eva Doumbia à la rentrée, sera dans la prochaine création d’Angelo Jossec du Théâtre des Crescite. Entretien.

C’est une nouvelle vie qui va commencer ?

Oui, c’est une nouvelle vie qui va commencer. C’est bien de le dire comme cela. C’est très bizarre. J’ai passé cette journée à recevoir plein de gentils messages (l’entretien a été réalisé le 30 juin, veille des vacances au CDN, ndlr). Il faut franchir ce gros passage pour moi.

Toutes ces années au théâtre ont été bien remplies.

Ce fut en effet des années très, très, très remplies. Depuis 1984, j’ai toujours été dans une hyperactivité. J’ai travaillé pour énormément de personnes, notamment pour Jean Lebeau, co-directeur du CDN de Montpellier. Pendant les années d’intermittence, j’ai beaucoup joué. J’ai travaillé de manière active et heureuse. Ce qui s’arrête véritablement, c’est cette vie dans une structure.

« Une vraie rencontre forte, humaine et artistique »

Comment qualifiez-vous cette rencontre avec David Bobée, directeur du CDN de Normandie Rouen ?

Je la qualifierais de providentielle. David est arrivé à un moment où j’étais en rupture de quelque chose. Ce fut une vraie rencontre forte, humaine et artistique. Je suis fière d’avoir accompagné ce projet. David est tellement ouvert sur les autres. Il a une telle humanité. Cela m’a ouvert des horizons fous.

Et avec Alain Bézu, directeur du centre dramatique régional-théâtre des Deux-Rives ?

C’était très différent. Alain est un homme dont j’admire le travail. J’ai un magnifique souvenir de plateau avec ce rôle d’Agrippine dans Britannicus. Alain n’a jamais refusé un projet que je lui ai proposé. Je lui parlais d’un texte et il me disait : trouve un metteur en scène et on le monte. Il m’a également ouvert des chemins. Je me souviens de Brouette de Franz Innerhofer, Cousu de fil noir de Durnez. Ce sont des moments marquants. Alain a vraiment été à cet endroit d’ouverture.

Le théâtre ne peut-il être qu’une passion ?

Bien sûr. C’est une passion. Je sais pourquoi je me lève le matin. Le théâtre a investi toute ma vie. C’est pour cette raison que je ne peux pas arrêter. Je ne me vois plus jouer, dire des mots. Le théâtre est vraiment un métier passion. C’est mon père qui m’a appris cela. Il était un homme de passions. Météorologue, il a continué à dessiner ses cartes à la retraite. Il avait monté une association et les partageait avec les agriculteurs, les habitants… Il y a aussi plein d’autres choses qui m’intéressent dans la vie mais pas au même point que d’être sur un plateau.

Comment est arrivé ce métier de dramaturge ?

Il est né il y a longtemps. Il y a eu un travail avec Jacques Michel, Stéphane Braunschweig. Il s’est poursuivi avec David sur Lucrèce Borgia et Peer Gynt. Là, ce fut un travail sur le texte afin de tirer les fils qui permettent de donner du sens à ce qui va être sur le plateau. J’adore cette recherche qui a nourri mon travail de comédienne et me renvoie à mes études à la faculté d’histoire à Amiens. J’ai enseigné l’histoire pendant quelques années dans les collèges. Cela m’a aussi passionné. Mais ce que j’aime avant tout, c’est être sur un plateau et entrer dans le projet d’un metteur en scène. 

« Je veux même bien faire une lecture au pied de ma statue »

Comment avez-vous vécu ce confinement ?

C’était effroyable. Pour moi, c’était de la non-vie. Je ne suis pas faite pour rester chez moi. Pourtant, j’aime bien l’endroit où je vis. Mais si je suis obligée d’y rester, je suis malheureuse. J’aime rencontrer les gens. Les quinze premiers jours, j’étais dans une sorte d’excitation. J’ai profité de ce moment pour faire plein de choses chez moi. Quand j’ai compris que le confinement durerait plus de deux semaines, j’étais dans la stupeur.

Vous avez proposé des lectures quotidiennes pendant le confinement.

Cela a commencé sur un malentendu sur Facebook. J’ai lu Ulysse de Joyce. Puis Duras. Je l’ai fait par bribes parce qu’il est possible de lire dans tous les sens. À la Oulipo. C’est un exercice qui m’a amusée. Et j’ai continué. En tout, j’ai fait 28 lectures qui m’ont aidée à tenir debout. C’était mon boulot du matin. Tous les jours, j’avais un rituel. Je m’habillais, me coiffais, me maquillais et je lisais. Je préparais la veille au soir. Je piochais des livres dans la bibliothèque de ma chambre. Je me suis créé un vrai boulot de confinement.

Pendant les saisons au CDN, vous avez eu un rapport direct avec le public lors des Labos du spectateurs.

C’est une idée de David qui avait envie d’un espace de paroles et d’échanges entre les spectateurs. En moyenne, il y avait une trentaine de personnes. Nous avons accueilli jusqu’à 70 personnes. Certaines venaient régulièrement. Non pas pour papoter. Je choisissais un spectacle et je tirais un fil. Cela pose des questions et aussi des possibilités de rencontres. J’ai pu inviter des personnes extérieures. Cela a nourri les spectacles, en amont et en aval.

David Bobée s’est amusé à réaliser un montage et remplacer la statue de Napoléon devant l’hôtel de ville à Rouen par une photo de vous. Qu’en pensez-vous ?

Je suis d’accord. Je veux même bien faire une lecture au pied de ma statue. Il faudrait que ce soit dans le costume brillant de La Négronie. Ce serait tellement mieux que Napoléon.

photo : Catherine Dewitt dans Lucrèce Borgia © François Stemmer