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# 36 / Pauline Bureau : « À chaque fois, on se dit que plus rien ne sera comme avant. Et tout redevient comme avant »

Pauline Bureau offre des moments de théâtre d’une force immense. Autrice, metteuse en scène, artiste associée à la Comédie de Caen, elle raconte des trajectoires jamais linéaires, transforme des épisodes de nos vies en des contes universels et écrit des textes empreints d’une grande humanité. La fondatrice de La Part des anges, une compagnie installée à Rouen, s’est emparée de l’affaire du Mediator dans Mon Cœur, du procès de Bobigny de l’automne 1972, un événement fondamental dans la lutte pour le droit à l’avortement, dans Hors La Loi. Avant, il y a eu Dormir cent ans, une plongée dans les rêves à l’aube de l’adolescence. Avec sa troupe de théâtre, Pauline Bureau a créé Féminines, l’histoire d’une équipe de football de femmes devenues des championnes du monde en 1978. Le deuxième confinement a mis un frein à la tournée. Entretien avec Pauline Bureau.

Comment avez-vous vécu le premier confinement ?

Comme pour tout le monde, je pense, il y avait de la sidération. J’étais choquée par beaucoup de choses, notamment par ce qui se passait dans les hôpitaux. Il était possible de mesurer le stress et l’angoisse vécus là-bas. Pour la culture, tout s’est arrêté et on se demandait comment tout allait s’organiser. On naviguait au jour le jour. Le silence de la part du gouvernement a envoyé des signaux inquiétants. Heureusement que tout le monde a joué le jeu. Il y a eu une solidarité professionnelle. J’espère que cela se renouvellera cette fois-ci. Mais je suis inquiète pour les spectacles qui n’ont pu rencontrer leur public.

Quelles idées vous traversent l’esprit aujourd’hui ?

Je n’ai pas d’avis. C’est un tel marasme. J’ai du mal à réfléchir. 

Quels sentiments dominent : la colère ou l’abattement ?

Il y a un peu de tout devant cet état d’urgence. Pourquoi les choses se font-elles toujours au dernier moment ? Peut-on éviter de prendre des décisions un jour pour le lendemain ? C’est épuisant. Je vois cet état d’épuisement dans les milieux scolaire et hospitalier. C’est incroyable tout ce que donne les personnels. Cela tient uniquement par le don de ces personnes parce que ça craque de partout. Acheter un téléphone est aujourd’hui plus essentiel qu’un livre. C’est problématique. Quelque chose est déréglé.

Dans vos créations, vous évoquez le plus souvent des faits réels. Êtes-vous happée par l’actualité ?

C’est difficile de ne pas être happée. Ne serait-ce quand vous avez des enfants. Pour cette rentrée scolaire, les décisions ont été prises au dernier moment. Et pour savoir quel lieu est ouvert ou fermé… Je n’arrive pas à m’extraire de cela.

Est-ce alors un moment propice à l’écriture ?

Non, pas du tout. Ce qui m’interroge, c’est l’avenir. Les tournées s’annulent. Les compagnies qui étaient en création ne pourront pas présenter leur travail au public et aux professionnels. C’est tout un château de cartes qui s’écroulent. Je pense à cette toute nouvelle génération d’artistes qui est confinée. J’ai peur des années à venir. Il va y avoir embouteillages de créations. Et s’il n’y a pas d’embouteillage, cela signifiera qu’il y aura eu des annulations. Dans les deux cas, c’est problématique. Certains disent que ce moment permettra de nettoyer la production parce qu’ils considèrent que l’on crée trop. Mais c’est dangereux de dire cela. Qui cela nettoie ? Ce sont toujours les plus jeunes et les plus fragiles. Ces propos me mettent en colère.

Créer, c’est davantage résister aujourd’hui ?

Créer, c’est toujours résister. De ma place, créer est un geste politique. Il faut se demander quel corps met-on sur le plateau ? Quel personnage de femme et d’homme convoque-t-on ? Cette rentrée, j’ai été étonnée par le fait que le public était au rendez-vous. C’est incroyablement émouvant. Il est là, masqué. J’avais ressenti ces mêmes sensations après l’attentat au Bataclan. Nous avions joué le week-end suivant. C’est ce qui me donne l’envie de créer. Les gens sortent, ont besoin d’être là et envie de soutenir la création. C’est très beau. En fait, dès qu’on leur laisse l’opportunité de sortir, ils sortent.

Est-ce que votre échelle du temps s’est modifiée ?

Un peu… Une chose est étonnante. À chaque fois, on se dit que plus rien ne sera comme avant. Et tout redevient comme avant. La vie reprend le dessus. Il faudra être attentif aux saisons à venir. Quels moyens de production seront accordés aux artistes ? Quelle sera la circulation des œuvres ?

Comment est-il possible de garder le lien avec le public ?

Lors des représentations de Féminines au Volcan, nous avons fait une captation qui est en cours de montage. Nous allons pouvoir la mettre en avant pendant ce mois de novembre. Nous pouvons garder un lien avec le public via la numérique. Ce n’est pas pareil mais c’est une autre façon de le rencontrer. Nous sommes en train de réfléchir à poursuivre nos ateliers d’écriture. En ce moment, nous ne sommes pas en création. Il va falloir inventer pour remettre de l’humain.