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# 46 / Adrian d’Épinay : « Avec un public assis, on perd la moitié de l’échange »

photo Dan Ramaën

MNNQNS. Juste six consommes pour désigner un des groupes du moment. MNNQNS électrise avec une pop-rock hargneuse et acérée, crée des ambiances vibrantes et effervescentes. Après des EP, la formation rouennaise a sorti un premier album très réussi, Body Negative. Elle partage sur les réseaux sociaux des collaborations musicales avec des « Amis et ennemis ». Un titre est à découvrir chaque semaine pendant ce mois de décembre encore confiné. Entretien avec Adrian d’Épinay, chant, guitare.

Comment vivez-vous ces périodes de confinement, déconfinement et reconfinement ?

C’est forcément étrange. Le plus difficile a été l’arrêt brusque de la tournée. Depuis trois ans, nous sommes sur les routes toutes les semaines. Du jour au lendemain, nous n’avons plus le droit de sortir. Les bars sont fermés. C’est très déroutant. Nous avons entamé une nouvelle série de morceaux seulement en digital avec d’autres artistes. Ce qui permet de ne pas péter un plomb. La meilleure solution, c’est de continuer à produire.

Combien de dates ont-elles été annulées ?

Nous ne sommes pas les plus touchés. Nous avons eu la chance que les interdictions soient tombées à la fin de notre tournée. Une dizaine de dates ont été annulées. Il y avait notamment des festivals sur lesquels on comptait beaucoup. Cela nous a permis de passer à l’écriture du deuxième album. Nous tournions depuis pas mal de temps. Ce n’est pas qu’il y avait moins d’envie mais peut-être moins de fraicheur. Nous avions besoin d’écrire. Nous avons ainsi profité de ce temps pour travailler, pour expérimenter et mettre en pratique nos idées. Cela n’empêche pas que le live nous manque beaucoup.

Cette période tourmentée n’est pas donc pas un frein à l’écriture ?

Non, je n’ai pas ce problème. Quand je bloque, je change d’outil. Je passe d’une guitare à un synthé. J’ai la chance d’avoir un home studio chez moi. Au début du deuxième confinement, j’ai quand même eu un coup de blues. J’étais à plat. Ce fut un temps pour réfléchir.

Quelles idées ont traversé votre esprit ?

La crise est venue tout chambouler. Il faut maintenant se demander comment on envisage la suite. Il faut aussi apprendre à relativiser parce que tout le monde est logé à la même enseigne. Le plus important est de ne pas rester passif. Je ressens cependant de la colère qu’il faut transformer ailleurs. Heureusement la musique a ce pouvoir cathartique. Aujourd’hui, nous avons besoin d’air, de choses à ressentir… Tout ce qui nourrit l’écriture. Cette période aura peut-être des répercutions dans l’écriture des textes, dans la composition de la musique, dans le choix des sons. Et ce, de manière inconsciente.

D’où vient la colère ?

J’ai l’impression d’être pris pour un débile, de me retrouver dans un scénario de science-fiction. On nous impose un truc disproportionné. L’État se sert d’une situation de crise pour maintenir le peuple dans la peur et la misère et passer des lois liberticides.

Est-ce que cette année blanche accordée aux intermittents sera suffisante ?

Cette année blanche va aider si on peut reprendre le travail rapidement. Nous n’avons pas beaucoup de temps pour nous retourner. Les salles sont fermées. Certaines sont subventionnées et vont s’en sortir. Pour les autres, les clubs, les associations et ceux qui fonctionnement selon un modèle DIY, ça va être l’hécatombe.

Certains et certaines artistes ont préféré reporter leur tournée plutôt que jouer devant un public masqué et assis. Qu’en pensez-vous ?

Tout dépend des esthétiques. Pour la chanson et le jazz, cela ne change pas la donne. Pour le rock et le métal, c’est hors de propos. Avec un public assis, on perd la moitié de l’échange. Je ne suis pas convaincu que ce soit la bonne solution. Au bout de quelques concerts, j’aurais peur de m’y habituer. Pendant un concert, c’est logique d’aller au contact des gens. Là, c’est impossible.

Est-ce que les réseaux sociaux sont une bonne alternative ?

Si c’est de la dépanne, oui. Chacun a ses solutions, prend des initiatives. J’espère que cela ne deviendra pas la norme. Proposer un live en direct, cela n’a pas beaucoup de sens. Si le public a envie d’écouter MNNQNS, je préfère qu’il mette le disque chez lui.

  • photo : Dan Ramaen