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La Féline : « je peux ressentir un sentiment d’élévation »

photo : Swan Arnaud

Il y a un point de départ : le présent avec ses joies et ses peines. À partir de là, Agnès Gayraud fait un clin d’œil au passé pour entrevoir le futur. Le troisième album de La Féline, son projet solo, est une belle odyssée fait d’une pop électro à la fois lumineuse et froide et de textes d’une profonde et douce poésie. Vie future offre des moments intimes, parfois spirituels, et aborde aussi des thématiques politiques et écologiques. La Féline est en concert samedi 12 juin au musée de La Céramique à Rouen pendant Rush, le festival du 106. Entretien avec Agnès Gayraud

Est-ce que les histoires sont toujours liées au cosmos ?

C’est une affaire de point de vue social et politique. Pour l’écriture de cet album, il y avait cette expérience de la maternité et de la perte d’un être cher. Des expériences qui sont à la racine de la vie. Une apparition et un départ nous renvoient au cosmos. Il est aussi possible de braquer le projecteur ailleurs pour observer l’épuisement des ressources terrestres. La collapsologie est une autre de mes obsessions. Tout cela me renvoyait néanmoins vers des histoires de science-fiction. J’aime bien.

Qu’aimez-vous dans la science-fiction ?

C’est un ensemble. Il y a l’idée du silence dans l’espace qui reste incompréhensible. D’autant que l’on ne peut y accéder. Il y a aussi cette impression de temps suspendu. C’est quelque chose de très fascinant. J’imagine la solitude du cosmonaute qui peut apercevoir sa planète et avoir un recul terrible sur l’existence. Il peut voir la Terre comme une petite chose. On entre là dans le domaine de la philosophie. Cela fait poser beaucoup de questions. Par ailleurs, quand j’ai écrit cet album, je portais mon enfant. J’étais un peu le cosmos de cet enfant. J’ai vécu cela intimement.

Faut-il créer un univers pour composer un album ?

Le terme univers est un peu galvaudé. Cela s’apparente à un décor artificiel. Je n’aime pas la théâtralité pour convoquer un univers en tant que décor. La musique m’évoque des image. J’ai un rapport cinématographique à la musique. Je me fais des films, des séquences. J’écris comme si je racontais les films que j’ai dans la tête. Un climat sonore s’installe. Le synthétiseur porte en effet l’idée du futur. Le son synthétique évoque un futurisme, une nostalgie d’un futurisme. Je me suis autorisée à l’exprimer. Mon idée n’a jamais été d’installer un univers pour divertir les gens mais pour porter un type de sensation.

L’écriture a-t-elle alors pour vous une dimension cathartique ?

Oui, elle a ce rôle. L’écriture d’Adieu L’Enfance m’a aidé. Il y avait une souffrance assez vive due à un sentiment d’abandon. Dans Tant que tu respires, il y a à nouveau la volonté de parler de quelque chose de très intime. L’écriture ne comble pas le deuil mais le sublime. Et cela m’aide.

Est-ce que l’écriture permet une certaine élévation spirituelle ?

C’est quelque chose que l’on ne dit pas toujours pour la pop mais surtout pour les musiques traditionnelles, indiennes, le jazz. Certains, comme Alice Coltrane, ne jouent de la musique qu’en s’adressant à Dieu. C’est explicite dans la musique noire américaine, un peu dans la country. Dans le rock, c’est marginal. Je ne suis pas croyante mais je dois admettre que je peux ressentir un sentiment d’élévation. C’est le sentiment d’une beauté créée par un collectif. La musique se joue avec d’autres. Il peut y avoir des moments d’appropriation avec le groupe et cela m’évoque de la transcendance. C’est quelque chose de précieux et de fragile.

Il y a de la vie avec les élans qu’elle génère et la gravité dans laquelle elle plonge. Comment avez-vous gérer cette dualité ?

C’est une ressource que donne la vie, une dynamique. Cela permet une alliance des contrastes, des émotions. Je suis une personne optimiste vis-à-vis des autres, avec une lucidité très grave. J’ai envie d’être heureuse. Il y a alors ce mélange de cette extrême lucidité qui est vertigineuse et de cette envie bienveillance parce que je ne veux pas faire de mal. Ce n’est pas une bienveillance mièvre. Je veux pas non plus être faussement gaie et rassurante. Il y a de la gravité et de la douceur.

L’autre dualité : quelle passerelle construisez-vous entre votre travail de musicienne et de philosophe ?

J’ai commence à faire de la musique à l’âge de 6 ans. Il n’y a pas d’artiste dans la famille. Ce besoin d’écrire des chansons est primitif. La philosophie est venue plus tard. J’ai trouvé un côté plus légitime à faire une thèse. Cela rassure davantage. Quand on veut être une chanteuse de pop, on ne sait pas trop où l’on va. Pour moi, il y avait quelque chose de moins légitime. J’ai réussi à réconcilier les deux dimensions avec l’écriture de Dialectique de la pop. Tout ce que je fais en tant que musicienne nourrit la réflexion de la philosophe. Ma pratique me permet d’avoir un point de vue différent. La musicienne a pu aussi s’exprimer. 

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