Angelin Preljocaj : « La danse est une pensée en mouvement »

photo : JC Carbonne

Gilles Deleuze, le philosophe avec sa voix enregistrée à l’Université Paris VIII dans les années 1980 quand il évoque les réflexions de Spinoza sur la question du corps et du mouvement. Jimi Hendrix avec sa musique sensuelle et puissante. Le chorégraphe Angelin Preljocaj a fait de ces enregistrements la matière de cette création appelée tout simplement Deleuze/Hendrix. Son ballet interprète cette partition vendredi 15 et samedi 16 octobre au Rive Gauche à Saint-Étienne-du-Rouvray. Entretien.

Rock et philosophie peuvent apparaître antinomiques. Comment avez-vous écrit cette chorégraphie ?

Dans les chocs, on obtient parfois de la lumière. Quand vous frottez deux silex, se produit une étincelle. Ce qui m’intéresse, c’est expérimenter, me saisir de choses incompatibles qui peuvent se nourrir.

Pourquoi avez-vous choisi les enregistrements de Deleuze évoquant Spinoza ?

Il parle de la philosophie du corps. Dans ses propos, il est très spirituel. C’est très incarné. Il se demande que peut le corps, comment il peut impacter le monde, générer de la spiritualité. Il donne de l’esprit au corps.

Est-ce que le corps peut être le lieu de la pensée ?

C’est le sanctuaire de la pensée !

Quels points communs ont Deleuze et Hendrix ?

C’est leur côté novateur. Par son enseignement et sa pensée, Deleuze a bouleversé le champ de la philosophie. De son côté, Hendrix a aussi été novateur dans le champ de la musique. 

Sur scène, il a exposé son corps.

Oui, c’était même quelqu’un d’irrévérencieux.

Comment utilisez-vous la voix de Deleuze, si singulière ?

Oui, sa voix a une texture particulière, une texture sonore. Il y a aussi son rire, la manifestation des étudiants dans ces enregistrements lors de son université libre. L’ambiance est curieuse. On a envie d’apprendre avec lui. C’est toute la pédagogie de Deleuze qui répète, actualise la pensée de Spinoza.

Est-ce que la danse vient illustrer les propos de Deleuze ?

Non, je n’aime pas l’illustration. Je préfère les mises en abîme, les contrepoints… Hendrix, Deleuze, Spinoza, la danse : tout cela constitue cette partition globale. C’est une partition d’orchestre qui permet de jouer avec le rythme.

La philosophie, ce sont des questionnements. En est-il de même pour la danse ?

Oui, c’est une sorte de divagation autour d’un thème. Les spectateurs sont dans un état mental qui est un peu étrange. Des corps bougent et ne disent rien verbalement mais sont une caisse de résonance des propos de Deleuze, relevés par la musique d’Hendrix. Cela crée une sorte de voyage, une exploration. C’est une expérience autant pour les danseurs que le public.

La philosophie, ce sont aussi des doutes. Est-ce que le doute traverse toujours vos créations ?

Oui et c’est la part des mystères de la création. Quand on cherche, on ne sait pas où on va aboutir. La danse n’est pas une pensée que l’on met en exécution mais une pensée en mouvement.

Infos pratiques

  • Vendredi 15 et samedi 16 octobre à 20h30 au Rive Gauche à Saint-Étienne-du-Rouvray.
  • Durée : 1h15
  • Tarifs : de 26 à 8 €. Pour les étudiants : carte Culture
  • Réservation au 02 32 91 94 94 ou sur www.lerivegauche76.fr
  • photo : Jean-Claude Carbonne