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Gaël Faye : « j’écris pour combattre le silence »

photo : Victor Pattyn

Un livre, Petit Pays, un album, Lundi Méchant, et une écriture intelligente, émouvante, subtile, parfois acérée, à d’autres endroits, virevoltante et lumineuse. C’est de cette manière que Gaël Faye affronte le réel, son histoire entre le Burundi et la France. Il raconte l’exil, l’absence, toutes les absurdités du monde, les affres de la vie dans des textes portés par un rap dansant. Gaël Faye sera vendredi 15 octobre au 106 à Rouen avec le festival Terres de Paroles. Entretien.

Où sont vos rêves d’enfant ?

Ils sont toujours présents. J’ai eu la chance de transformer une partie de ma vie en rêves. Enfant, je voulais devenir rêveur professionnel. J’aime me laisser porter par l’imagination qui me traverse. Écrire, composer de la musique, c’est prolonger cet état.

Est-ce facile de se laisser emporter de cette manière ?

C’est plus compliqué quand on est adulte. Cela ne va vraiment plus de soi. C’est un travail et je suis assez admiratif des enfants parce qu’ils n’ont pas d’effort à faire. Maintenant, je dois faire des efforts pour réactiver cet état. C’est encore moins évident depuis que j’ai commencé à me professionnaliser. La musique impose souvent des contraintes liées à l’activité artistique. Il faut savoir les intégrer sans qu’elles viennent bloquer cette liberté, le propre de l’art. Je ressens parfois le poids de ces contraintes à cette activité professionnelle. Je fais comme si j’étais un enfant. Or cela se travaille. C’est aussi pour cette raison que je mets du temps à écrire. J’ai besoin que tout me semble naturel afin d’être sincère.

Le livre et les albums ont été des succès. Est-ce que vous pressentiez la portée d’un texte ?

J’ai eu quelques intuitions à un certain moment. Des textes ont changé ma vie. Dans la chanson A-France, j’ai mis des mots simples sur des émotions profondes : « embrasse papa qui est resté au pays, dis-lui qu’en France je ne grandis plus, dis-lui que je vieillis ». C’était bouleversant pour moi. Quand j’ai lu ces mots à ma sœur, elle a ressenti les mêmes émotions que moi. Plus tard, je me suis rendu compte qu’un texte peut toucher la sensibilité d’autres personnes et pas seulement de celles qui ont la même expérience que moi. Elles aussi ont été touchées par cette histoire qui est loin de leur réalité.

Pourquoi le rap est le meilleur vecteur pour vous ?

C’est le plus naturel. Le rap m’a permis de trouver ma langue, mon identité d’auteur. Ce que j’aime, c’est cette faculté de jouer avec les mots. J’avais le français et j’ai intégré le français de Bujumbura, celui du Rwanda, le kinyarwanda et aussi des expressions belges. Avec le rap, je ne ressens pas du tout les conventions. Ce qui se produisait quand j’écrivais de la poésie. J’avais quelque chose au-dessus de moi. Des choses qui viennent de l’école et des lectures.

Y a-t-il une démarche militante dans votre écriture ?

Tout dépend ce que l’on entend par militante. J’ai envie de faire évoluer les regards. Quand je suis arrivé en France, on m’a présenté comme un enfant qui fuyait la guerre, qui était 50 % comme ci et 50 % comme ça. Je me suis battu contre cela. Je suis 100 %. Je ne suis pas un réfugié. Je suis un enfant qui vivait dans un paradis et on me l’a arraché.

Écrivez-vous pour ne pas oublier ?

Oui, j’écris pour combattre le silence. Nous sommes engloutis par les silences, l’amnésie. J’ai grandi dans un endroit où les rues n’ont pas de nom. Il n’y a pas de registre. Je n’ai pas de photo de mon grand-père. On oublie les gens. Écrire, c’est figé. Cela peut paraître dérisoire. Mais, pour moi, c’est beaucoup.

Est-ce que la musique est toujours associée à la danse ?

Dans ma musique, oui. Je ne sais pas si toutes musiques peuvent accompagner les corps. J’écris oralement. On me propose souvent de publier les textes des chansons mais j’ai du mal avec cela. Ils ne sont pas faits pour cela mais pour passer par la voix et le corps. Les textes de rap ne fonctionnent pas sans la voix et le corps. Il arrive que l’on montre un rappeur de façon grand-guignolesque mais c’est le rythme, ce sont des mots qui claquent. Quand je pointe un index, je marque la cadence des mots, du verbe. C’est la danse des mots.

Que ressentez-vous lors de ces retours sur scène ?

Je revis. J’ai eu très peur que cet album ne connaisse pas la scène. Il est sorti en plein confinement. Je l’ai écrit avec cette ambition qu’il puisse faire penser et danser. Le premier mois, j’ai pu échanger et partager. Mais ce n’était que du streaming. Sans le live, il n’a pas raison d’être.

Infos pratiques

  • Vendredi 15 octobre à 20 heures au 106 à Rouen
  • photo : Victor Pattyn