Emmanuelle Vo-Dinh : « En tant qu’artiste, il n’y a rien de pire que de vivre sans surprises »

photo : Olivier Bonnet

Du Havre à Rouen et jusqu’à Dieppe et dans l’Eure… C’est le prochain parcours d’Emmanuelle Vo-Dinh avec sa compagnie. Après dix années, elle quitte la direction du centre chorégraphique national du Havre Normandie et la confie à Fouad Boussouf. Sa compagnie s’installe en 2022 à Rouen, devient associée à la scène nationale de Dieppe et attend un lieu de répétition en construction à Andé. Avant ce départ, la danseuse et chorégraphe propose trois jours de rencontres et de performances avec des compagnies de danse normandes. Pharewell se tient du 2 au 4 décembre au Phare au Havre. Entretien.

Comment regardez-vous ces dix années passées à la tête du centre chorégraphique national du Havre Normandie ?

C’est une formidable aventure. Solenne (Racapé, directrice déléguée, ndlr) et moi sommes contentes d’avoir mené le projet dessiné en 2011. Il y a bien quelques petites choses qui ont glissé de la feuille de route. Le fait le plus saillant et marquant, c’est le festival Pharenheit qui donne une visibilité au secteur chorégraphique dans le territoire. Il a gagné sa place. C’est aussi une décennie particulière qui a été traversée par des événements inédits. Le dernier reste la pandémie qui nous affecte tous encore. Il a fallu travailler avec cela. Nous regardons ce temps passé au Havre sans regrets et sans nostalgie. Ce départ fait partie de l’aventure. Nous nous étions dit que nous ne resterions pas plus de dix ans. En tant qu’artiste, il n’y a rien de pire que de vivre sans surprises. Il faut se renouveler. Cette dead-line a permis de ne jamais s’installer ou de prendre des habitudes.

Que vous a permis de développer ce lieu ?

Il a permis d’assoir un geste artistique. Nous avons bénéficié d’un lieu dans lequel nous avons pu répéter comme nous avons voulu. C’est un luxe d’avoir des murs. Nous avons pu mener plus de recherches. Ces derniers temps, les pièces se créaient sur deux années. Nous travaillions une semaine et nous arrêtions deux mois. Nous recommencions à ce rythme. Cela a permis de poser les choses. Cela m’a permis aussi de faire des allers et retours entre mon travail de créatrice et celui de directrice. Il faut à la fois mener des recherches et porter un lieu. J’aime cette porosité entre les deux missions. Cela a obligatoirement nourri mon geste artistique et fait bouger mes lignes.

Une autre mission d’un centre chorégraphique national, c’est l’accueil de compagnies.

Cela nous a tenu à cœur. Nous voulions une maison ouverte à tous. À travers Pharenheit, nous leur avons donné une visibilité après des accueils en résidence. Un CCN a aussi comme mission l’éducation artistique et culturelle qui ne pouvait être dissocié du geste artistique. Cela a généré de multiples rencontres.

En dix ans, le paysage chorégraphique en Normandie a beaucoup changé. Comment le voyez-vous ?

Oui, il a changé. L’État a développé le secteur et accordé un troisième label dans la région avec Chorège, le centre de développement chorégraphique (à Falaise, ndlr). Il y a une prise de conscience mais encore beaucoup à faire dans la visibilité de la danse. Une dynamique s’est installée au Havre qui s’est enrichi de nouvelles compagnies et énergies, avec l’arrivée de Margot Dorléans, la PJPP, Shifts qui sont nos artistes associés.

Pharewell est un événement pour marquer votre départ. Comment avez-vous imaginé ces trois jours ?

Ce seront trois soirs de performances pour embrasser la richesse et la diversité des propositions artistiques. Nous avions commencé avec les petits-déjeuners des compagnies normandes. Il y avait une nécessité de se rencontrer. Le CCN avait vocation à être un centre ressources. Nous terminons avec de nouvelles rencontres. La boucle est en quelque sorte bouclée. Il y aura une journée pour les professionnels afin d’effectuer un point d’étape et pouvoir se projeter. Qu’avons-nous inventé pendant la pandémie ?

Quelles ont été les répercutions ?

Ce fut une double punition. Les gestes protecteurs sont des gestes d’empêchement. C’est terrible pour nous, danseurs, et pour nous tous. Les gens apprennent à ne plus se toucher et ne plus se voir. C’est tellement contre nature. Le futur proche nous invite à repenser ces notions-là. La danse doit réparer ce traumatisme. Il faut retisser des liens. Nous avons besoin de contacts, de douceur. Cela fait partie de nos vies.

Comment s’écrit l’avenir pour vous ?

Nous allons poser la compagnie à Rouen. Nous n’avons pas de lieu mais nous serons à la Grand-Mare, dans un quartier en devenir, au centre culturel André-Malraux pour développer une expression artistique. Nous allons tisser des liens avec l’Esadhar. Nous serons aussi présentes dans l’Eure où se construit à Andé un studio de répétition de 130 m2, tout en verre. Il ressemblera à une serre. Là, nous pourrons être en synergie avec les acteurs du territoire, le centre des écritures cinématographiques, la compagnie Beau Geste… La compagnie sera associée pendant trois saisons à la scène nationale de Dieppe. Nous allons mettre à profit notre expérience, engager de nouvelles rencontres et énergies.

Infos pratiques

  • Jeudi 2, vendredi 3 et samedi 4 décembre à 19 heures au Phare au Havre
  • Entrée gratuite
  • Réservation au 02 35 26 23 00
  • photo : Olivier Bonnet