Francis Dordor : « une pochette de vinyle est une exploration artistique »

Francis Dordor fait partie de ces passionnés. Journaliste passé par Best et Les Inrocks, il a gardé cette flamme vive pour la musique, celles et ceux qui la composent et la vendent. Dans Disquaire, une histoire, il dresse le portrait de réels personnages qui ont tenu et tiennent encore des rôles importants dans la transmission d’une conception de la musique. Il y a là la passion pour le vinyle. Il vient la partager jeudi 9 décembre au 106 à Rouen. Entretien.

D’où vient cette passion pour le vinyle ?

De mon adolescence, j’imagine. J’ai commencé à m’intéresser à la musique lorsque j’avais 13 ou 14 ans et je ne me suis jamais arrêté. J’ai été ensuite journaliste musical pendant vingt ans et j’ai pu bénéficier d’un service de presse. Je ne me considère pas comme un collectionneur. Ma passion est très ciblée. Je ne suis pas à la recherche de la rareté à des prix exorbitants. Je suis plutôt quelqu’un de raisonnable. J’ai certes une discothèque assez conséquente et je continue à l’enrichir. Je suis plus un chineur qu’un collectionneur.

Quelle musique écoutiez-vous à 13 ans ?

Je viens de banlieue parisienne, dénuée de culture. Il n’y avait pas de bibliothèque, de cinéma, de maisons des jeunes et de la culture. C’était un désert total. Mais j’avais la radio et une grande sœur qui ramenait des disques. Elle achetait Johnny Hallyday, Les Chaussettes noires, Elvis Presley… La télé était tellement formatée que l’on avait pas droit à grand-chose. Moi qui suis né dans les années 1950, la musique a représenté quelque chose d’important dans la construction d’une identité. À l’adolescence, à cette époque-là, on se référait à des groupes comme les Rolling Stones, Led Zeppelin, Jimi Hendrix, Bob Dylan… C’est tout un jeu de construction intime. Ma première sortie à Paris a été pour aller voir les disquaires.

Quel est le premier disque que vous avez acheté ?

C’est le double album blanc des Beatles. Mon premier talisman ! C’était au Giber. Je me souviens de cet escalier qui menait à une cave. Une vraie caverne d’Ali Baba. C’était absolument enchanteur. J’étais attiré par toutes ses pochettes. Quand je décidais d’aller acheter un disque, je dormais très mal la veille. J’avais des vibrations particulières. Je devais faire des choix cornéliens. Quel album j’allais pouvoir acheter ?

Avez-vous succombé à la mode du CD ?

Oui, nous avons tous succombé. Il y avait tout d’abord une forme d’attirance et de curiosité pour la nouveauté. On nous vantait de la qualité sonore supérieure du vinyle qui a ensuite été contestée. Le CD a représenté un tournant mais j’ai conservé l’essentiel de ma discothèque. J’ai en fait doublé ma collection en acquérant des domaines que je ne connaissais pas. Comme le jazz, la musique classique… Cela m’a ouvert vers d’autres univers.

Comment expliquez-vous ce retour vers le vinyle ? Est-ce un réel retour ?

Je ne me l’explique pas mais oui, c’est un retour. Cela fait un moment que le vinyle a supplanté le CD. Ce CD qui devait constituer un nouvel eldorado n’a pas connu un âge d’or. Aujourd’hui, le streaming a pris une énorme importance.

Quel rapport entretenez-vous avec l’objet en lui-même ?

Le CD est juste une boîte en plastique, facile à stocker. Une pochette de vinyle est un objet particulier. C’est une exploration artistique. Il y a dans ce format un espace suffisant pour toutes les expressions. Je n’ai pas eu ce rapport intellectualisé. Mes pochettes étaient dans ma chambre, faisaient partie du mobilier. À l’intérieur, quelque chose me parlait. Certaines pochettes sont à contempler. Celle de Sgt Pepper, avec tous ces personnages, est un parcours.

Est-ce le vinyle est un marché particulier, une industrie part ?

Non. Il faut vendre un objet. Cependant, l’industrie musicale a été d’une puissance incroyable. Quand j’étais rédacteur en chef de Best, Sony a emmené 2 à 300 personnes dans un concorde pour écouter le nouvel album de Michael Jackson. Nous avons survolé l’Irlande le temps du disque. Au coût de l’opération s’ajoute le coût carbone. À ce moment-là, le marché faisait des marges tellement profitables que les maisons de disques n’ont pas vu venir le danger. En l’espace de dix ans, le métier s’est effondré.

Dans votre livre, vous montrez que le disquaire est un maillon de la chaine très important.

Oui, j’ai voulu rendre hommage à tous ces disquaires, essentiels dans la diffusion de la musique, l’imprégnation d’une culture. À Rouen, Lionel Herrmani de Mélodies Massacre a été important pour les Olivensteins et les Dogs. Il avait une fonction de disquaire généraliste parce qu’il ne voulait pas faire de sa boutique un ghetto mais satisfaire les demandes les plus diverses. Les disquaires sont des gens très cultivés qui ont une passion qui les animent. Certains ont généré une petite scène. Des boutiques étaient des plateformes de lancement.

Vous avez aussi été disquaire.

Oui, pendant un été, en 1973. Ce fut mon premier emploi. C’était naturel pour moi. J’avais envie de transmettre quelque chose quand on m’interrogeait sur tel ou tel disque. C’est intéressant de satisfaire une demande et d’ouvrir vers d’autres esthétiques. Les personnes qui m’avaient embauché voulaient me garder.

Infos pratiques

  • Jeudi 9 décembre à 20 heures au 106 à Rouen
  • Rencontre gratuite
  • Réservation au 02 32 10 88 60 ou sur www.le106.com