Emily Loizeau : « nous devons être pionniers de quelque chose de neuf »

photo : Ludovic Carème

Il y a dans cet album la noirceur du monde et la lumière de l’espoir, la fureur du rock et la douceur des ballades, la nécessité d’aller vers l’autre et celle de se réfugier dans l’intime. Avec Icare, Emily Loizeau revient à des sujets qui lui tiennent à cœur comme les crises climatiques, sociales et migratoires. Les tableaux sont très sombres mais l’autrice, compositrice et chanteuse n’oublie jamais d’ajouter un bel élan de vie. Elle sera vendredi 4 mars au Trianon transatlantique à Sotteville-lès-Rouen et vendredi 1er juillet à la Fête du fleuve à Rouen. Entretien.

Est-ce que le poids de l’existence, titre d’une des chansons de votre album, pèse encore plus lourd aujourd’hui ?

Je crois que oui. Ce poids n’est pas celui qui est sur mes épaules. Il fait référence à ce qui s’est passé le 13 novembre 2015. C’est le poids de l’âme qui nous tient en vie, cette petite chose qui fait que nous sommes vivants. Le poids de l’existence s’est alors abattu sur nos épaules. Dans la vie, je suis une optimiste. Sans avoir une naïveté en moi, je pense qu’il y a des perspectives d’avenir infinies. Il faut tenir en équilibre ce poids sur nos épaules et en prendre soin.

Vous invitez à Danser sur un volcan, une autre chanson de l’album et une phrase qui revient dans We Can’t Breathe. Reste-t-il une part d’insouciance ?

C’est un travail. J’ai deux enfants et je me dis que je dois préserver leur insouciance tout en leur transmettant une lucidité. Notre capacité à la légèreté est fondamentale, indispensable. Cela ne veut pas dire qu’il faut mettre la tête dans le sable. Mais les enfants ont la vie devant eux. D’ailleurs la nature a cette intelligence, cette capacité à se protéger, à se réinventer. Il est important de se réjouir, s’émerveiller encore.

Pour cela, il faut une énergie rock ?

J’avais commencé à écrire avant le premier confinement. Le disque était un regard sur le monde. C’était comme un journal de bord. Puis est arrivé ce séisme. J’étais perturbée et j’ai tout arrêté. Tout ce que j’avais écrit résonnait encore plus avec ce qui nous vivions. Nous étions tous enfermés, séparés les uns des autres. Je ne voulais pas nier ce constat, cette noirceur mais il restait un espoir fou. Il fallait prendre conscience que nous étions en vie. Et le rock a cette force cathartique. Il est là le message. Nous sommes vivants et nous pouvons construire des choses ensemble. Nous devons être pionniers de quelque chose de neuf. Pour y parvenir, nous devons être très nombreux sinon nous ne n’y arriverons pas. Toutes ces entreprises qui savent dans quel état est la planète ne changeront rien pour préserver leurs intérêts si nous n’unissons pas nos forces pour que le monde soit plus égalitaire et plus humain.

Le pronom « nous » revient souvent dans vos phrases. Vous le remplacez dans la dernière phrase prononcée par George Floyd. I can’t breathe devient We Can’t Breathe.

Cette phrase terrible a résonné en nous tous. Elle a pris une dimension symbolique par rapport à ce qui nous arrive. Je ne pouvais l’utiliser comme elle avait été prononcée. Cela aurait été impudique. Ce nous forme cet ensemble puissant défendant des valeurs qui nous permettent de vivre sur cette planète. Et elles sont loin de ces valeurs portées par ceux qui ont un besoin de conquête, d’imposer une société masculine et patriarcale. Il faut être uni dans une forme de révolte et de désobéissance. 

Parce que, comme vous le chantez, « le compte a rebours a commencé ».

Cela fait des décennies que les scientifiques nous le disent. Les problèmes climatiques et sociaux vont nous revenir en pleine figure et cela va être difficile à vivre.

Est-ce que cette chanson Eldorado a un lien avec le livre de Laurent Gaudé ?

Oui, c’est un hommage à ce livre. Une scène m’a chamboulée. C’est ce passage où cette jeune femme traverse la mer en bateau sous le soleil, porte son enfant dans les bras sans vouloir savoir s’il est encore en vie ou non. Cette femme porte en elle l’espoir d’une vie différente qu’elle veut offrir à son bébé. 

Il y a un autre hommage, au peuple Oceti Sakowi.

C’est le vrai nom des Sioux. Il signifie les Sept conseils du feu. C’est un peuple qui me fascine depuis que je suis toute petite. Un pipeline devait traverser ses terres alors il s’est battu. Il a quand même beaucoup perdu. On a bousillé ses forêts. Je voulais rendre hommage à cette lutte.

Pourquoi évoquez-vous Icare aujourd’hui ?

Cette chanson est la clé de voute de ce disque. Elle est très acoustique, baroque. Elle donne le sens à tout l’album. Avant de l’écrire, je me suis souvenue de ce tableau de Brueghel, La Chute d’Icare. C’est un paysage magnifique, une scène de labour. Je me suis demandée pourquoi le choix de ce titre. En fait, il y a dans un coin un pied qui sort de l’eau. Un drame se déroule et nous regardons ailleurs. C’est une belle métaphore.

Infos pratiques

  • Vendredi 4 mars à 20h30 au Trianon transatlantique à Sotteville-lès-Rouen. Tarifs : de 25 à 15 €. Pour les étudiants : carte Culture.  Réservation au 02 35 73 95 15 ou sur www.trianontransatlantique.com
  • Vendredi 1er juillet à 22 heures à la Prairie Saint-Sever à Rouen. Concert gratuit
  • photo : Ludovic Carème