Dakh Daughters : « nous avons compris que nous serions plus utiles en Europe »

photo : Olga Zakrevska

Elles ont une énergie punk, une force de combattantes et des voix puissantes pour défendre la liberté. La révolte traverse ce Cabaret Freak qu’elles jouent jeudi 31 mars à L’Éclat à Pont-Audemer, vendredi 1er avril à la scène nationale de Dieppe et samedi 2 avril au Préau à Vire. Les Dakh Daughters, les filles du Dakh, un théâtre emblématique à Kyiv en Ukraine, sont Nina Harenetska, Ruslana Khazipova, Tanya Havrylyuk, Solomia Melnyk, Anna Nikitina, Natalia Halanevych et Zo. Comédiennes, chanteuses et musiciennes, elles portent avec force et grâce les textes de Shakespeare, de Bukowski, de Vedensky, de Chevchenko et des récits venus des Carpates. Hors de scène, l’inquiétude est omniprésente et les mots se mêlent aux larmes. Entretien avec Natalia Halanevych, traduit par Anna Olekhnovych.

Comment allez-vous ?

C’est la question la plus importante aujourd’hui pour chaque Ukrainienne et chaque Ukrainien. Tous les matins, nous nous réveillons pour demander à nos proches et à nos amis comment ils vont. Aujourd’hui, nous vivons dans une vraie terreur. Nous nous battons pour la liberté, pour nos vies. C’est très dur pour nous. Nous essayons de faire notre maximum pour nous protéger. Pendant nos concerts, nous nous battons aussi. C’est très important de garder ce dialogue avec le public. Notre pays doit être libre et indépendant. Nous devons protéger ses valeurs qui sont des valeurs de liberté. Il est essentiel que les gouvernements des pays européens ne nous abandonnent pas parce que nous ne pouvons pas faire face à cette terreur tout seuls. La vie humaine n’a aucune valeur pour le pouvoir russe qui continue à tuer et à menacer l’Europe. C’est pour cela que nous sommes très reconnaissantes à Lucie (Berelowitsch, directrice du Préau, ndlr) et à Stéphane (Ricordel, codirecteur du Théâtre Monfort, ndlr) de nous donner la possibilité de parler.

Quelles nouvelles avez-vous de votre famille ?

Ma famille est avec Lucie. Mes enfants sont là. Nous avons une chance incroyable de pouvoir vivre ici. C’est très précieux pour nous. Mes parents sont en sécurité. Comme je vous le disais, chaque jour, nous demandons : comment ça va ? Aujourd’hui, ça va.

Avez-vous longtemps réfléchi avant de partir d’Ukraine ?

Oui, ce fut très long. La décision a été difficile à prendre. Nous avons compris que nous serions plus utiles en Europe à continuer les tournées et la lutte. Nous participons aux collectes de produits et d’argent pour les familles et notre armée. Nous faisons chacun, ici et là-bas, de notre mieux. Chaque Ukrainienne et chaque Ukrainien a trouvé sa place. Et nous allons gagner. Sans faute !

Que devient le théâtre du Dakh ?

Il est fermé. La ville de Kyiv est le plus souvent sous couvre-feu. Il reste seulement quelques petits cafés ouverts pour que les gens se retrouvent et se remontent le moral. De temps en temps, les fleuristes ouvrent aussi leur boutique. Les comédiens du théâtre luttent également. Ils font de la guerre d’informations, comme on dit. Deux d’entre eux parcourent également la ville pour apporter une aide humanitaire.

Où puisez-vous cette force pour monter sur scène chaque soir ?

Quand je regarde les images sur ce conflit, je ne vois que du courage. Toutes et tous résistent face à cette puissante armée russe. . Oui, il y a beaucoup de courage. Alors, nous aussi, nous devons avoir du courage. Nous sommes toutes vivantes et puisons nos forces dans chacune de nous.

Est-ce que la liberté passe par l’art selon vous ?

Nous avons compris une chose il y a huit ans. La liberté ne peut pas s’instaurer toute seule. Il faut se battre tous les jours de sa vie pour la préserver. C’est une responsabilité individuelle et collective. Et nous assumons cette responsabilité.

Comment résonne en vous le sonnet n°35 de Shakespeare que vous reprenez dans le Cabaret Freak ?

Ce n’est pas seulement Shakespeare qui résonne. C’est toute la poésie parce que nous ressentons profondément. Nous entendons maintenant de manière différente ces questions qu’elle pose sur la vie et la mort. La poésie prend en effet une autre dimension et révèle diverses nuances. Hier, dans des magasins, des livres étaient brûlés. Aujourd’hui, ils sont dans nos cœurs et ceux-là ne pourront jamais être brûlés. Je voudrais faire une citation de l’écrivaine Lessia Oukraïnka : « non, je suis vivante, je vais vivre toujours, il y a quelque chose dans mon cœur que l’on ne peut tuer ». Ce sont des phrases que j’ai encore mieux comprises depuis le début de la guerre.

Reporté trois fois

Il tenait à cœur à Simon Fleury, directeur de L’Éclat, à Philippe Cogney, direction de la scène nationale de Dieppe, et à Lucie Berelowitsch, directrice du Préau, d’inscrire ce concert dans leur programmation. En raison de la crise sanitaire, la venue des Dakh Daughters a été reportée trois fois. Lors de cette saison, les sept artistes, installées à Vire, chantent dans les trois salles normandes en plein conflit dans leur pays, l’Ukraine. Lucie Berelowitsch a fait la connaissance de la troupe du Dakh, grâce à Stéphane Ricordel, acrobate et fondateur des Arts Sauts, tout récemment nommé avec Laurence de Magalhaes à la direction du Théâtre du Rond-Point à Paris. « C’était en 2014, après la révolution de Maïdan. Nous étions plusieurs artistes et metteurs en scène. Quand j’ai entendu les Dakh Daughters, j’ai eu envie de monter avec elles Antigone, une figure de la révolte. Cela fait sept ans que nous nous retrouvons régulièrement. Nous allons créer ensemble en janvier 2023 une adaptation des Géants de la montagne de Pirandello ».

Les recettes des concerts seront versées à La Croix-Rouge française afin de poursuivre son programme d’aide humanitaire.

Infos pratiques

  • Jeudi 31 mars à 20h30 à L’Éclat à Pont-Audemer. Tarifs : 20 €, 15 €. Réservation au 02 32 41 81 31 et sur http://eclat.ville-pont-audemer.fr
  • Vendredi 1er avril à 20 heures à la scène nationale de Dieppe. Tarifs : de 23 à 10 €. Réservation au 02 35 82 04 43 ou sur www.dsn.asso.fr
  • Samedi 2 avril à 19 heures au Préau à Vire. Tarifs : de 16 à 5 €. Réservation au 02 31 66 66 26 ou sur www.lepreaucdn.fr