Emily Loizeau : « une chanson est légitime quand elle a une nécessité vitale »

Photo : Ludovic Carème

Dans Icare, Emily Loizeau raconte toute la complexité du monde avec cette part sombre et toute sa beauté. Femme de convictions, l’artiste rappelle l’urgence à agir contre les bouleversements climatiques et les tendances nationalistes, aussi en faveur des personnes exilées. L’énergie rock de la musique se marie à la poésie des mots. Emily Loizeau est en concert mardi 8 novembre à l’Archipel à Granville et jeudi 10 novembre à la scène nationale de Dieppe. Entretien.

Icare est sorti en septembre 2021. La COP 27 est ouverte. Comment recevez-vous les différentes actualités du monde ?

On ne peut pas dire que les nouvelles soient toujours hyper bonnes. Elles sont même de plus en plus inquiétantes. Je vois néanmoins dans ce que nous traversons quelques petites lueurs par endroits. Nous pouvons être plus soulagés après les élections au Brésil. Le poumon de la planète va être un peu réparé. Par ailleurs, la prise de conscience des bouleversements climatiques est de plus en plus forte après les soubresauts que nous avons vécus. Il y a eu une nouvelle canicule, des incendies… C’était flippant. On prend aussi conscience dans les médias. Les jeunes se bougent et j’ai beaucoup d’admiration et de respect pour leur courage. Ils se mettent dans une position d’activistes et prennent le droit de la désobéissance. Il faut passer par l’illégalité quand la loi n’est pas juste. C’est vital. Je reste aussi désespérée quand je vois la montée des racismes et des extrêmismes. Je soutiens l’action de SOS Méditerranée. Comment peut-on ne pas laisser ces personnes débarquer dans nos ports ? D’autant que les choses ne vont pas s’arranger. Les prochaines lois sur l’immigration sont désastreuses. On ne prend pas en compte les enjeux mais juste la poussée des idées extrémistes pour être réélu.

Vous chantez : « nous rêvions de tout dans tous les sens ». Avons-nous été égoïstes, candides, insouciants ?

J’ai été élevée par des parents engagés, dans un éveil aux situations des autres. L’égalité sociale et celle des droits, ce sont des choses que l’on m’a apprises. Oui, il y a eu une insouciance collective. Seules quelques personnes éclairées ont parlé de l’enjeu écologique. Moi aussi, j’étais dans l’insouciance, j’ai eu une enfance, une adolescence et une vie de jeune adulte tamponnées du sceau de la douceur éternelle. Mes enfants et la génération d’avant sont, eux, face à ce que je n’ai pas connu. Il n’y avait pas une telle noirceur. C’est difficile et terrible à accepter en tant que parent.

Pourquoi prenez-vous la parole dans cet album ?

Lors de mes premières années en tant que chanteuse, autrice, je n’ai pas eu envie de prendre la parole d’un point de vue citoyen. Il n’y avait pas une nécessité vitale. Et une chanson est légitime quand elle a une nécessité vitale. Dans le troisième album, il y avait déjà une porosité. Plus le temps a passé, plus les séismes ont été tels qu’il était impossible de ne pas avoir cette porosité avec l’actualité. J’ai été envahie par ce qu’elle a affecté dans ma propre vie, ma propre conscience et ma propre âme. Icare est comme un journal intime. 

Comment alors révéler la beauté du monde ?

Il faut la décrire malgré tout. Nous pouvons être pris d’un espoir fou parce que la nature est d’une force vitale. Pendant les confinements, nous avons vu des dauphins, des vols d’oies… Donc tout est possible. Ce moment-là a permis de faire un pas de côté parce que nous avons ralenti nos rythmes de vie. Nous avons créé autre chose.

Que pensez-vous de la démarche d’Elon Musk qui pense à un avenir ailleurs ?

Aujourd’hui, soit on sauve sa peau, soit on va polluer sur une planète. Pourquoi aller faire la même chose ailleurs ? C’est complètement absurde. Ce monsieur est fou. Pourquoi avoir cette capacité à vouloir être plus gros et diriger le monde ? Il faut davantage écouter la raison.

Est-il encore possible d’être insouciant ?

C’est une lutte de chaque jour. Il faut refuser de se mettre la tête dans le sable mais être actif pour ne pas être en dépression. C’est un équilibre à trouver et je m’y efforce. Mes enfants sont très conscients de l’état du monde Il faut se dire que nous avons beaucoup de chance par rapport à beaucoup. Il est important de préserver la douceur de cette vie et la joie.

Même s’il faut danser sur un volcan, comme dans une de vos chansons.

Je donne deux couleurs à cette chanson. Oui, il faut continuer à danser, à faire des feux de joie tout en sachant que nous sommes sur un endroit fragile. Il y aussi cette danse inconsciente. C’est une expression du duc d’Orléans pour prévenir d’un prochain soulèvement. Elle a aussi cette adresse.

Est-ce qu’une chanson permet de sublimer une colère ?

Oui, il y a quelque chose de cathartique. La chanson permet de sublimer, de passer de petits messages. C’est ma manière de prendre la parole. Nous avons tous une capacité d’action.

Infos pratiques

  • Mardi 8 novembre à 20h30 à l’Archipel à Granville. Tarifs : de 28 à 16 €. Réservation au 02 33 69 27 30 ou sur www.archipel-granville.fr
  • Jeudi 10 novembre à la scène nationale de Dieppe. Tarifs : de 25 à 12 €. Réservation au 02 35 82 04 43 ou sur www.dsn.asso.fr
  • Des places sont à gagner pour le concert à Dieppe. Écrivez à muriel.relikto@gmail.com