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Lætitia Casta : « quand Clara joue, c’est un moment de grâce »

photo : Édouard Élias

Clara Haskil (1895-1960) a été une des plus grandes pianistes du XXe siècle. Enfant, elle a très vite été repérée pour sa faculté à interpréter les airs qu’elle entendait. Elle surprendra ensuite avec son jeu si délicat et son approche lumineuse de la musique. La vie de cette virtuose est ponctuée de douleurs : la disparition très tôt de son père, puis de Dinu Lipatti, un de ses proches amis, les départs vers d’autres pays pour mener ses études, les traitements pour soigner sa scoliose… La musique devient sa raison de vivre. Lætitia Casta raconte le destin de Clara Haskil et révèle toute sa sensibilité. La comédienne s’est emparée du livre de Serge Kribus, Clara Haskil, prélude et fugue, mis en scène par Safy Nebbou. Accompagnée de la pianiste Işil Bengi, elle sera les 22 et 23 janvier au Volcan au Havre lors du festival Le Goût des autres. Entretien.

Quelle vie de Clara Haskil vous a le plus ému, celle de la femme ou celle de la pianiste ?

Je pense que l’on ne peut pas les séparer. Clara Haskil n’était que musique. C’était toute sa vie. J’ai été touchée par l’artiste dans sa globalité, surtout par sa sensibilité. Oui, c’est sa sensibilité qui m’a portée.

C’est une femme empreinte de doutes et de fragilité.

Pour moi, ce n’est pas ce qu’il y a de plus intéressant. Cette histoire parle de déracinement, de légitimité. Le trac, le doute, la fragilité, nous vivons avec et c’est ce qui nous construit. Au départ, la musique n’est qu’un jeu pour Clara Haskil. Elle a appris aux côtés de sa mère. Il n’y avait aucune appréhension, aucun a priori. Tout était facile. Plus tard, toutes les personnes qu’elle va croiser vont essayer de la plier à une conformité, de la rabaisser. Elles lui ont fait perdre la confiance qu’elle avait en elle. C’est cela qui a produit des blessures et qui m’a ému.

Vous le dites dans le spectacle : j’aime ça, jouer, jouer, jouer…

Clara Haskil a traversé les deux guerres, supporté la maladie et la douleur. Elle n’a pas vraiment eu d’histoire d’amour. Elle n’a pas eu d’enfant. Quand Clara joue, c’est un moment de grâce. Tout devient limpide. Elle se connecte à quelque chose de mystique.

Est-ce une phrase que vous pouvez reprendre, en tant que comédienne ?

Oui, il y a quelque chose qui se confond. Ce qui m’importe est d’être dans quelque chose de sincère et d’intime.

photo : DR

Il y a peu de documents sur Clara Haskil. Comment avez-vous construit votre personnage ?

J’ai vu le documentaire, lu une biographie. Mais je me suis surtout attachée au texte et j’ai laissé travailler l’imaginaire. C’est un mélange de ce que je suis et de ce qu’elle est.

Comment avez-vous travaillé sur la douleur physique ressentie par Clara Haskil ?

La blessure ne part pas du corps mais de l’âme. Elle n’est pas seulement ressentie physiquement.  Dès le début, je raconte cette douleur parce que Clara devait avoir une apparence gracieuse sur scène. Quand elle arrive à Berck, on lui met un corset qui la blesse. Elle le dit : elle n’a pas mal et se demande pourquoi elle doit être soignée. Elle est à nouveau loin de chez elle. Elle est encore déracinée. Clara perd son père à 4 ans. Elle part au conservatoire à Vienne, puis va étudier à Paris. À partir de là, elle va grandir trop vite. Ce sont tous ces moments-là qui comptent et qui sont inscrits dans le texte. Je n’avais pas la nécessité de faire ressentir qu’elle avait mal. Au fil des représentations, je vais de plus en plus dans la douleur, dans quelque chose de plus marqué.

Avec ce texte, y avait-il aussi une envie de poursuivre avec Safy Nebbou un travail entamé avec Scènes de la vie conjugale ?

Oui, nous avions envie de repartir sur un projet. Notre première expérience s’était très bien passée. Il m’a proposé ce seule en scène. Ce n’est pas ce que je souhaitais au départ. Être seule sur scène, c’est comme un exercice. Il faut apprendre, s’entrainer. Le plus vertigineux a été d’arriver à faire en sorte que ce texte ne m’appartienne pas seulement mais devienne universel. D’autres comédiennes ou comédiens vont peut-être le dire mieux que moi mais je m’en fiche. Ce qui compte, c’est que le public puisse s’identifier à Clara Haskil, soit transporté dans cette histoire et être touché. Je conçois mon métier de cette manière-là.

Comment avez-vous travaillé avec la pianiste Işil Bengi ?

Il y a eu un travail énorme. Elle n’est pas seulement une pianiste. Elle a effectué un travail de recherche sur les partitions interprétées par Clara Haskil. La musique est comme la bande originale d’un film. Elle entre en résonance avec les différentes périodes de la vie de Clara.

Infos pratiques

  • Dimanche 22 janvier à 17 heures et lundi 23 janvier à 19h30 au Volcan au Havre
  • Durée : 1h30
  • Tarifs : de 33 à 5 €. Pour les étudiants : carte Culture
  • Réservation au 02 35 19 10 20 ou sur www.levolcan.com