Jérôme Rémy : « L’Islande est un pays fascinant »

photo : Franck Castel

C’est un regard sur l’Islande qui est offert pendant Les Boréales. Le festival de Normandie Livre et Lecture propose du 15 au 26 novembre des rencontres littéraires, des récitals, des concerts, des spectacles de théâtre et de cirque, des films, des expositions à Caen et les villes environnantes. Une présentation avec Jérôme Rémy, directeur artistique des Boréales.

Comment pouvez-vous résumer la tradition littéraire en Islande ?

Je me garderais bien de résumer une littérature nationale qui est forcément multiple. Bien évidemment l’héritage des sagas islandaises est fondamental dans la littérature médiévale occidentale. Et cet héritage influence encore la scène littéraire islandaise contemporaine. La violence du polar islandais a forcément à voir avec les sagas. La langue des sagas du VIIIe siècle est quasiment identique à celle que les locuteurs islandais parlent aujourd’hui. Ces textes anciens gardent donc une force et une modernité fascinantes. Mais si on parle de tradition, il faut forcément évoquer le monde du livre en Islande. Avec moins de 400 000 habitants, le pays publie chaque année environ 1 500 livres vendus à 2,5 millions d’exemplaires. A Noël, le déluge de livres, qui consiste à acheter des ouvrages en grand nombre et à les offrir, installe le livre au rang d’objet sacré. Une étude récente indique que 32 % des Islandais lisent au moins une fois par jour et que chaque habitant lit en moyenne 2,4 livres par mois.

Comment ce pays, plein de contrastes géographiques, influence les auteurs et les autrices islandaises ?

La question du territoire et de son impact sur la création est régulièrement posée et les artistes eux-mêmes répondent différemment à cette question. L’Islande est un pays fascinant qui happe les touristes comme les artistes qui y voyagent pour la première fois. Glacial, volcanique et éruptif, le pays est une force tellurique assez unique. Pour autant, de mon point de vue, c’est avant tout l’insularité et l’isolement qui sont sans doute source d’inspiration pour les auteurs qui vivent en Islande. Perdue au milieu de l’Atlantique, l’île est finalement presque aussi proche des États-Unis que de l’Europe, et regarde le Groenland droit dans les yeux. Pour un auteur, ce territoire inspire et invite à s’en évader.

Quels jeunes auteurs et autrices avez-vous repéré pour Les Boréales ?

Cette édition sera l’occasion de renouveler les invités littéraires islandais du festival. Beaucoup d’éditeurs ont fait confiance aux Boréales pour éditer des premiers romans en 2023. Je pense à Halldor Armand Asgeirsson traduit par Jean-Christophe Salaün, ou à Sigrun Palsdottir traduit par Eric Boury et tous deux chez Métaillé. Grâce à l’émergence d’un nouveau traducteur de talent, Hadren Chalard, ce sont deux premiers livres que les lecteurs français pourront découvrir : Frida Isberg pour La marque chez Robert Laffont et Orvar Smarason pour un recueil de nouvelles, Le masque de sommeil, chez Passages et Traverses.

Quelles nouveautés littéraires vous a marqué ?

Au-delà d’une nouveauté, c’est le livre d’Andri Snaer Magnason qui me semble marquer les esprits. Son Requiem pour les glaciers islandais est un livre atypique, très libre qui mêle histoire familiale et élégie pour un paysage en train de disparaitre. Les enjeux climatiques se conjuguent ici au passé, comme une lettre du futur que nous n’aurions pas envie de recevoir. Un ouvrage magnifique et un auteur charismatique.

Quelle est la particularité du polar islandais ?

Encore une fois difficile à dire et à résumer. Mais de mon point de vue, je trouve singulier qu’une île préservée de la criminalité et de la violence fantasme autant des univers criminogènes. Comment expliquer la fascination pour le sang sous la neige ? Sans doute à cause de la rudesse omniprésente du climat et des paysages. Les polars de Yrsa Sirgurdardottir ou Arnaldur Indridasson sont parmi les meilleurs de tous les pays nordiques. Ragnar Jonasson qui viendra pour la clôture des Boréales, a vendu à ce jour un million de livres en France et rayonne dans 30 pays. Pourquoi des lecteurs de la planète entière sont absorbés pour les enquêtes venues du froid ? Je ne saurais pas le dire mais force est de constater que cet engouement pour le polar suédois puis nordique puis islandais ne se dément pas.

Quel voyage en photos propose Bruno Compagnon ?

Bruno Compagnon est un de nos coups de cœur en 2023. Il y a tellement de photographes qui ont tenté de capturer la beauté des paysages islandais et l’immensité invraisemblable de ce pays. Nous recevons chaque année de très nombreuses propositions d’expositions toujours très belles et très réussies techniquement. Le travail de Bruno Compagnon se distingue pour deux raisons. Tout d’abord la beauté de ses images en noir et blanc à l’intensité presque palpable et surtout cette volonté de plonger au plus profond du monde rural islandais, très très rarement documenté. Ses photos sont profondément universelles et typiquement islandaises, comme prises sur le vif et presque éternelles. Son travail sera montré à la fois en extérieur au château de Flers et dans le magnifique bâtiment de la bibliothèque Alexis-de-Tocqueville de Caen.

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