Cette décision a été mûrement réfléchie. Philippe Cogney a décidé de mener une autre vie professionnelle après avoir passé treize années au poste de direction à la scène nationale de Dieppe. Il a veillé à la pluridisciplinarité de la programmation et surtout étendu le rayonnement de DSN avec la venue d’artistes sur le territoire, les Concerts de l’Impossible, le chapiteau pour des projets de théâtre itinérant. Philippe Cogney va retrouver au 1er janvier 2024 sa région d’adoption, le Limousin, où il a dirigé le théâtre du Cloître à Bellac. Il y reprendra l’écriture et transmettra son savoir. Entretien.
Qu’est-ce qui a motivé ce choix de quitter la scène nationale de Dieppe et la région ?
J’adore la ruralité. Il y a un climat serein. Pour moi, il est aussi important de ne pas rester où on a exercé. Ce peut être gênant pour l’équipe et pour celui qui succède. J’avais décidé de partir avant la crise sanitaire. J’y avais réfléchi sérieusement. Puis, le covid est arrivé et j’ai attendu que tout s’apaise. Treize ans au poste de direction, c’est pas mal et les années covid ont compté double. Je me mets en retrait du spectacle vivant. C’est fatiguant et épuisant. La responsabilité qui est la nôtre est importante. Ce n’est pas un départ brutal et soudain. Je pars alors que l’équipe de DSN est apaisée et que les chiffres de fréquentation sont bons.
Quel sera votre prochain projet professionnel ?
Je serai enseignant à l’université en 2024 et je vais écrire. L’écriture était l’essentiel de mon activité avant 2000. J’avais lâché cette activité parce que je ne pouvais pas respecter une discipline que demande l’écriture. C’est un peu comme le sport. Il est nécessaire de s’astreindre à une discipline, à une régularité. Il n’est pas possible d’écrire une heure par ci, une demi-heure par là. Quand on écrit, il y a un rythme à trouver. La plupart du temps, je suis en co-écriture. Il y a des engagements moraux à respecter.
Comment qualifieriez-vous ces années passées à la scène nationale de Dieppe ?
Elles n’ont pas été si chaotiques, si linéaires. Dans chaque lieu, il y a un combat à mener. Il faut défendre l’activité, le statut de scène nationale et sa philosophie. Il ne faut jamais céder sur les missions qui sont les nôtres. S’il y a une volonté de les modifier, il faut s’y opposer ardemment. Il est important d’être en vigilance. C’était ma ligne. Cela crée des moments de frottement. Mais on ressort toujours grandi quand on arrive à défendre l’esprit d’une structure. À côté de cela, il y a la construction artistique. Elle se faisait selon mes sensibilités. Je ne suis jamais allé dans un formatage. Il est important que le label de la scène nationale ait de l’ambition. C’est une chance pour un territoire d’avoir une scène labellisée. DSN n’est peut-être pas une grosse scène nationale mais elle a un grand projet.
Quel regard portez-vous sur le secteur culturel en Normandie ?
C’est une belle région à découvrir. Elle est très riche. Elle n’a pas à rougir du nombre de ses structures qu’elle soutient et des équipes artistiques qui sont fortes. Il y a un vrai travail qui est mené. C’est exemplaire. Je suis très content d’avoir vécu ici pendant des treize années et vu cette grande Normandie. Il y avait déjà des passerelles mais elles se sont renforcées entre la Haute et la Basse-Normandie. Le travail en réseau est très riche.
Vous y avez aussi découvert des compagnies.
Avant d’arriver, je connaissais le travail de Yann Dacosta que j’avais reçu quand j’étais encore dans le Limousin. J’ai fait en effet des rencontres avec des équipes magnifiques qui évoluent et avancent chacune à leur façon. Pour la première fois, cette saison, DSN accueille La Cohue, une compagnie avec une écriture remarquable.
DSN, c’est le spectacle vivant et le cinéma. En quoi est-ce une force ?
C’est une vraie force. Nous avons construit des passerelles formidables entre le spectacle vivant et le cinéma. Il faut respecter l’histoire de sa maison. Le cinéma et le spectacle vivant, c’est la colonne vertébrale de DSN.
Comment avez-vous pris en considération la place géographique particulière de la scène nationale de Dieppe ?
Il faut toujours prendre en compte plein d’éléments comme la pluridisciplinarité de la programmation, la jauge de la salle, avec ses 600 places, une alternance du grand et du petit plateau. Il faut aussi prendre en compte le rythme budgétaire supposé des spectateurs. Il ne faut oublier que nous vivons une crise économique. Il y a aussi l’implantation géographique. Là, DSN a une place un peu hégémonique. Cela met cependant dans l’œil du cyclone parce que nous sommes très sollicités. Nous travaillons de plus en plus en lien avec les autres salles. Il reste néanmoins important de ne pas devenir une scène garage et de préserver une identité en ayant des propositions à voir seulement ici et des co-productions. Il faut savoir bouger le curseur en respectant l’histoire du lieu et son implantation.
La culture est en crise, c’est une phrase qui très souvent répétée. Quel peut être son avenir, notamment avec le plan « Mieux produire, mieux diffuser » ?
La culture est en crise depuis que le mot existe. C’est aujourd’hui une crise intellectuelle d’envergure. Il faut ramener un maximum de citoyens vers les propositions artistiques. Par ailleurs, il y a une réalité. Moins de budget est consacré aux productions. Celles-ci vont s’épuiser de fait. On ne produit plus comme il y a quinze ans. La production est la variable d’ajustement. C’est la partie immergée de l’iceberg. Nous n’avons pas attendu un plan pour être dans une cohérence de tournée territoriale. À côté de cela, il est difficile de dire aux compagnies et aux auteurs d’arrêter d’écrire. Il est important d’accompagner l’émergence qui est tout le temps renouvelée. Le réseau PAN (Producteurs associés de Normandie, ndlr) permet de donner corps à des projets. La culture, c’est l’universalité. C’est ce qui fait que l’esprit s’élève. Il reste nécessaire d’accorder plus de moyens à la production.