C’est une soirée « Nouvelle Vague », celle de trois jeunes auteur et autrices qui ont publié leur premier roman. Pendant le festival Le Goût des autres, Emma Doude Van Troostwijk et Emmanuelle Tornero, issues du Master Lettres et Création littéraire de l’Université du Havre, et Marouane Bakhti liront vendredi 19 janvier au Magic Mirrors des extraits de leur ouvrage, ponctués de chansons d’Elias Dris. Entretien avec Emmanuelle Tornero, documentariste et créatrice sonore, qui signe Une Femme entre dans le champ, l’histoire d’une toute jeune mère qui part sur les routes avec son enfant. Un récit troublant où le temps est un marqueur important et la tension, incessante.
À quel moment a commencé votre pratique d’écriture ?
Cette pratique est assez ancienne. J’ai toujours écrit. C’était des histoires qui n’ont jamais été terminées. Je ne sais pas d’où cela vient. Quand mes parents ont déménagé, j’ai retrouvé des cahiers d’école avec ces débuts d’histoire. Cela remonte donc à l’enfance.
Est-elle liée à la lecture ?
Oui, j’imagine. L’écriture est aussi connectée au fait d’avoir écouté des histoires et des récits de vie. J’ai grandi dans une famille issue de l’immigration. Les plus âgés racontaient leurs histoires, celles de personnes qui n’étaient plus là ou qui étaient restées au pays. J’ai également une formation de documentariste sonore. Il y a ainsi une envie de raconter une histoire.
Était-il alors logique que vous intégriez le Master de Lettres et Création littéraire au Havre ?
Je ne sais pas. Avant d’y entrer, j’avais une vie dans la création radiophonique. Ce n’était pas logique à ce moment-là de ma vie professionnelle. Mais une amie m’en a donné l’envie. J’avais aussi cette histoire qui me titillait. Cette fois, j’avais bien l’intention de la terminer parce qu’elle était importante pour moi. Mon désir s’accrochait à cet endroit. J’ai intégré le Master comme si j’étais en résidence. Comme je suis intermittente, j’ai pu le faire.
Pourquoi ne parveniez-vous pas à terminer vos histoires ?
Quand j’étais au Master, je me suis rendu compte qu’il fallait de la méthode et de la rigueur pour écrire. En fait, je manquais de persévérance, peut-être de légitimité. Je n’avais pas suffisamment d’endurance. Je partais toujours très vite dans l’écriture, puis tout s’épuisait.
Comment est né le personnage d’Une Femme entre dans le champ ?
J’ai vécu longtemps avec ce personnage. Cette femme est arrivée un jour dans mon cerveau. Elle allait avec moi. Quand je marchais, je me demandais ce qu’elle ferait si je la croisais là. Nous avons cohabité dans ma tête. Je ne savais pas comment raconter son histoire. Au bout d’un temps, elle a existé par les mots. J’ai alors écrit des bribes, puis des passages plus longs. Ce livre m’a demandé plusieurs années. J’ai commencé à penser à elle en 2013, à écrire en 2016 et j’ai intégré le Master en 2020.
Est-ce que cette cohabitation a été joyeuse ?
Oui, ce n’était pas triste. On ne se gênait pas parce que je savais faire la part des choses. Cette femme reste un personnage de fiction. Je l’invoquais quand je traversais certains moments. Je m’imaginais souvent la voir. Elle incarnait des choses et des sentiments différents. Au début, il y avait beaucoup de colère. Cela s’est défait avec le temps. Cette femme, ce n’est pas moi mais c’est aussi moi. Elle était un mystère.
Vous manque-t-elle depuis la sortie du livre ?
Non, elle ne me manque pas. Elle fait sa vie. À la fin de l’écriture, j’ai senti une place immense en moi. Je ne m’y attendais pas. Quand j’ai dû revenir à l’écriture pour la publication, j’ai eu l’impression qu’elle était partie. Non, elle ne me manque pas mais elle reste là.
Vous parlez beaucoup du temps. Cette notion est très présente dans le roman. Pourquoi ?
Oui, le temps est très important. Depuis le début, j’ai eu envie de donner à ressentir ce temps par des éclats, des bribes. Cette question du temps permet de raconter la complexité des gens, leur mystère. Cette femme perd pied dans le monde commun. Je souhaitais que le lecteur s’interroge sur des choses profondes. Je voulais aussi casser la ligne du temps parce que nous sommes faits de cela. Il y a certainement un lien avec ma pratique du montage. Cependant, cela avait du sens pour cette histoire.
Ce qui crée aussi une tension.
Oui, je crois. C’est un texte qui tend vers un jour J. Et que se passe-t-il ce jour-là ? J’aime quand les lecteurs me disent qu’ils n’ont pas remarqué ce moment-là. Cette tension a été un travail de composition.
Cela crée également un trouble.
C’est ce qui m’intéresse. J’aime bien ces personnages pour lesquels on a de l’empathie alors qu’ils sont horribles. Cette mère n’est pas dans une maternité épanouie. Qu’est-ce qui va advenir à cet enfant ? On a peur. Je ne suis pas mère mais j’ai côtoyé beaucoup la maternité. Je me suis beaucoup demandé quelles seraient les réactions des jeunes mamans à la lecture de ce livre. J’avais peur que l’on me lapide. Mais j’ai déployé beaucoup de tendresse dans cette histoire et j’ai été surprise d’entendre que des femmes se sont reconnues dans ce personnage. Cette validation m’a fait du bien.
Que représente ce premier roman ?
C’est une étape importante, un aboutissement. Quelque chose s’est concrétisé. Je me le suis prouvée à moi-même. C’est précieux. Cette histoire a la forme la plus juste. Pour une autre histoire, ce sera peut-être différent. Je ne me ferme pas de portes.
Infos pratiques
- Vendredi 19 janvier à 22 heures au Magic Mirrors au Havre
- Durée : 1h30
- Réservation au 06 37 53 30 99 ou à legoutdesautres@lehavre.fr