Le musée des Beaux-Arts s’engage à restituer deux œuvres spoliées

Jeune Fille au miroir, Pierre-Auguste Renoir, vers 1815, Huile sur toile

Entre 1933 et 1945, le régime nazi a volé chez les familles juives de nombreuses œuvres qui ont pu ensuite être acquises par les musées français. En 2022, le musée des Beaux-Arts de Rouen s’est lancé dans une mission afin de repérer celles ayant fait l’objet d’une spoliation. Sur les 38 peintures et dessins étudiés, sept ont été identifiés comme « à risques » et « ayant un soupçon de spoliation ».

Sur le Madame Guillaumin cousant, un pastel sur toile d’Armand Guillaumin de 1888, et Le Snob, dessin de Pablo Picasso, datant de 1905, il y a une pastille rouge. Sur la Jeune Fille au miroir de Pierre-Auguste Renoir (vers 1915), La Femme assise dans un jardin d’Othon Friesz (1923), le Champ de coquelicot près de Giverny (1885), la Nature morte au faisan et la Route effet neige de Claude Monet, la pastille devient rouge et jaune. Toutes ces œuvres font partie des collections du musée des Beaux-Arts de Rouen. Quant aux couleurs (blanc, vert, jaune-vert, jaune-rouge et rouge), elles indiquent le degré de spoliation dans une classification qui en compte cinq.

Une première en France

À l’initiative de Sylvain Amic, alors directeur de la Réunion des musées métropolitains rouennais (RMM), une mission est engagée en 2022 pour « mesurer dans les collections le risque de présence d’œuvres spoliées » par les Nazis lors des persécutions juives entre 1933 et 1945. Une première en France. « Nous en sommes heureux et fiers, se réjouit Laurence Renou, vice-présidente de la Métropole Rouen Normandie en charge de la culture. Nous ne pouvons pas réparer l’irréparable mais nous pouvons rétablir un peu de justice. L’objectif est d’aller jusqu’à la restitution des œuvres aux ayants droit ».

La tâche est gigantesque et peu aisée. Marie Duflot, Hélène Ivanoff et Denise Vernerey-Laplace ont entamé ce travail en janvier 2023 pour une durée de sept mois. « Il a fallu effectuer une recherche de provenance des œuvres. Se pencher et s’interroger sur leur provenance, c’est dessiner une traçabilité », remarque maître Corinne Hershkovitch qui a assisté les trois chercheuses indépendantes. Comment procéder quand une collection compte 3 141 peintures ? Ce ne fut pas simple de dresser une cartographie des risques. « Les difficultés sont venues de l’imprécision des bases de données. Pour certaines œuvres, la documentation est parfois parcellaire. Il arrive aussi qu’il faille aller la chercher ailleurs », explique maître Corinne Hershkovitch.

38 œuvres étudiées

Une première sélection s’est imposée selon une méthodologie précise. Il a fallu identifier les œuvres acquises avant 1933 ou auprès des familles d’artistes après cette date. Pour celles-ci, il n’y a pas de risque de spoliation. Cela représente 59 % des collections. L’étude montre également que 19 % des collections peuvent présenter ce même risque mais ne peuvent être étudiées en raison d’un manque d’archives. Les 22 % restantes peuvent présenter un risque de spoliation et, pour celles-ci, des documents permettent de retracer leur provenance. Cela concerne 700 œuvres du musée des Beaux-Arts.

Parmi ces peintures, les trois chercheuses en ont retenues 38 afin de les étudier de manière approfondie. Neuf ont le statut particulier de MNR (musées nationaux récupération). À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Alliés ont ramené en France 60 000 œuvres retrouvées en Allemagne. Toutes ont été confiées aux musées avant de retrouver leur propriétaire. Résultats de cette première étude : deux œuvres, Madame Guillaumin cousant de Guillaumin et Le Snob de Picasso, ont été volées par le régime nazi. Il reste des soupçons sur cinq d’entre elles. 19 ne présentent aucun risque de spoliation. Une autre a été exclue de l’enquête. Les onze dernières dont l’historique est lacunaire « ne semblent pas spoliées ».

Si les dates sont importantes, certains noms ont vivement retenu l’attention des trois enquêtrices lors de leurs recherches. Comme celui de Charles Vaumousse, activement impliqué dans le commerce de biens spoliés. Il y a également Raphaël Gérard, marchand d’art qui a noué des liens avec l’occupant nazi. Le pastel de Guillaumin et la peinture de Renoir sont passés entre leurs mains.

Des engagements

Cette étude est un préalable à une démarche de réparation : rendre les œuvres aux familles. C’est la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations qui s’en charge après examens des travaux de recherche. Pour ce faire, il a fallu plusieurs outils juridiques qui manquaient. Deux lois-cadres — une troisième est en attente — ont tout récemment été votées par l’Assemblée nationale et le Sénat pour permettre ce transfert de bien du domaine public à la sphère privée.

De son côté, la Réunion des musées métropolitains de Rouen a pris plusieurs engagements. Il y a tout d’abord une volonté de « faire savoir », indique Robert Blaizeau, directeur de la RMM. Faire savoir pour « sensibiliser le grand public », « trouver les héritiers qui ont des informations », « accroître les connaissances sur les œuvres ». Les notices des tableaux exposés, spoliés possiblement ou de manière avérée, ont été réécrites. Le rapport de Marie Duflot, Hélène Ivanoff et Denise Vernerey-Laplace a été mis en ligne.

Autre décision : la seconde phase de l’enquête sera lancée à la rentrée 2024. À cette même date sera organisée une journée d’étude sur ce sujet. La RMM envisage d’octroyer des bourses de recherches aux étudiants souhaitant travailler sur la provenance des collections du musée des Beaux-Arts de Rouen. Enfin, Robert Blaizeau a annoncé « engager une démarche officielle et saisir la commission pour retrouver les héritiers » de Madame Guillaumin cousant et Femme au miroir.

Madame Guillaumin cousant, Armand Guillaumin, 1888, pastel sur toile