Marie-Aude Murail écrit depuis l’enfance. Des histoires, elle en a imaginées plus d’une centaine. Pour chacune d’entre elles, destinées aux jeunes lectrices et lecteurs, l’autrice, née au Havre, vise juste. De la justesse, il y en a en effet quand il s’agit d’aborder les enjeux de la société d’aujourd’hui. Elle y ajoute de la finesse, de la bienveillance, de l’humour et de l’espoir. Récompensée par de nombreux prix, Marie-Aude Murail qui écrit avec sa fille, Constance Robert-Murail, est également une femme engagée pour la cause de la lecture. Elle est l’invitée d’honneur du festival du livre de jeunesse de Rouen du 8 au 10 novembre à Rouen. Entretien.
Vous racontez des histoires. Aimez-vous autant en lire et en écouter ?
Oui, petite fille de 3 ou 3 ans et demi, je ne jouais pas avec des jouets. Je me racontais des histoires. J’étais toute seule dans ma tête et je jouais. J’ai toujours fait ça. J’ai toujours eu besoin de nourrir mes fantasmes avec les histoires des autres. Cela alimentait mon moteur à histoires et mon écriture. Je cherchais du matériau pour fantasmer.
Est-ce qu’il était évident pour vous que ces fantasmes vous mènent à l’écriture ?
Je rêvais plus que je n’écrivais. Je rêvais et cela me prenait un temps considérable. À un moment, je me suis demandé si je n’étais pas en train de bousiller ma vie. Dans ma chambre, j’ai beaucoup regardé le plafond. Mes parents me laissaient rêver sans poser de questions. Jamais ma mère m’a dit : tu n’as pas autre chose à faire. J’ai fait la même chose avec mes enfants. Mon fils a d’ailleurs été très étonné quand je lui ai dit pour la première fois : dépêche-toi ! J’ai appris à tricher, à dissimuler, à faire semblant, à faire pour avoir l’air comme tout le monde. Quand je faisais les courses ou je passais l’aspirateur, je n’étais pas là. J’étais présente mais mentalement absente. Je me perdais beaucoup. J’ai rêvé jusqu’à l’âge de 40 ans.
Que faisiez-vous de vos rêves ?
J’ai eu la chance, un jour, de rencontrer un stylo. Mon père était poète et ma mère, journaliste et écrivaine. Ma mère nous proposait d’écrire. Tout cela se vivait en famille. J’étais dans un cercle enchanté qui m’a protégée d’un cercle extérieur. L’écriture m’a sauvée de cela. Elle m’a permis d’entrer en communication avec les autres et de partager. J’avais en moi cet univers fantasmatique. Dans Mytho, j’ai raconté ce pays imaginaire dont je rêvais. Mais cela m’a détruit. J’ai perdu ce côté fantasmatique. Je ne suis plus retournée dans ce pays où je me consolais et qui me procurait des sensations. En fait, j’étais autosuffisante. Cela s’appelle du shifting. C’est parvenir à se mettre dans un état second. C’est de l’autohypnose. Moi, je préfère parler de fantasmes. J’arrivais à faire cela en classe, dans la rue… Quand je devais m’arrêter, je mettais un marque-page dans ma tête. Puis je reprenais le fil de mon histoire qui n’en finissait pas. Cela valide ce personnage bizarre que j’ai été si longtemps. L’écriture m’a donné une justification de ma façon d’être. J’ai retrouvé cela avec ma fille.
Vous dites que l’écriture est une histoire de famille. Dans votre travail, la transmission vous anime.
Ma sœur, Elvire, se racontait aussi des histoires dans sa tête. Elle me l’a dit lorsqu’elle avait 9 ou 10 ans. Nous partagions la même chambre. Elle me racontait ses histoires. Mon frère, Lorris, était écrivain mais je ne sais pas s’il fantasmait de cette manière. C’est toujours par nécessité que l’on est écrivain.
Est-ce qu’un livre pour le jeune public doit être un roman d’apprentissage ?
Oui, d’une manière générale. Les grands romans sont des romans d’apprentissage. Robinson Crusoé reconstruit une société. L’Éducation sentimentale, Le Grand Maulnes sont des romans d’apprentissage. On va y chercher quelque chose. Comme les écrivains. Comment sait-on qu’un roman est terminé ? Si pour le public, une fin est une dissolution, pour un écrivain, c’est différent. Il doit couper le cordon. C’est pour cette raison que beaucoup de lecteurs demandent des suites. Pour le prochain roman, j’ai laissé à Constance l’écriture de la dernière scène. Je vois bien qu’elle a du mal à terminer. Je comprends son dilemme. Elle veut finir l’histoire de manière satisfaisante mais n’a pas envie que cela s’arrête. Moi, pendant ce temps, je pense à une autre histoire.
Vous êtes très fidèle à vos personnages.
Oui, j’ai écrit des séries avec six ou sept épisodes. Sept parce que c’est un chiffre magique. Des fois, je reprends les romans parce que la maison d’éditions me le demande. Quand je les reprends, ils doivent se renouveler.
Vous fixez-vous des règles ou un cadre lorsque vous écrivez ?
Oui, je me documente, je m’informe, je lis, j’écoute… Je suis à l’affut tout le temps. Je découpe des choses que je garde. Mais après, je décroche.
Dans vos romans, vous aimez beaucoup bousculer. On ressort différent d’une histoire.
Oui, je suis heureuse quand j’arrive à toucher. Je ne suis pas une personne tactile. Quand j’arrive à toucher à distance, je suis moi-même touchée. C’est extraordinaire de faire pleurer, de bousculer. C’est très beau et cela me donne une grande responsabilité.
Vous mettez toujours de l’humour dans vos histoires.
L’humour est un sport à haut risque. Je ne veux pas être avant tout dans le blanc ou le noir et je ne veux pas dispenser de réfléchir. Il y a plein de choses dans ce monde qui obligent à réfléchir. Dans Sauveur & Fils, j’ai abordé toute sorte de sujets. La maison d’éditions souhaite remettre la série au goût du jour. Je prends cela comme un exercice. Je relis et je me demande si je n’ai pas heurté, si j’ai employé le bon vocabulaire. Je l’ai fait pour d’autres ouvrages et c’est très intéressant. Pour Sauveur & Fils, une étude a été menée et j’ai eu des retours. Des mots comme “susceptible” ou “chochotte” ont été prononcés. J’ai fait mon examen conscience. J’ai un vieux fond catho. Là, une blague n’était pas bonne. Ailleurs, un mot n’était pas juste. Cela ne veut pas dire que j’affadis. On ne va pas changer Balzac. Moi, je suis vivante et j’ai en face de moi des jeunes. Je n’hésite pas à changer.
Quels sont vos rapports avec les jeunes lectrices et lecteurs ?
Je les aime beaucoup. Pour écrire pour la jeunesse, il faut croire en l’avenir, avoir des perspectives. Sinon, on considère que le monde est pourri ou on est devenu vieux. Me confronter aux enfants me permet de savoir si je suis légitime en tant qu’adulte qui leur parle, si je peux accueillir leurs angoisses, les accompagner et les soutenir. Il faut faire gaffe à tout ce que l’on trimbale parce que nous traversons beaucoup de tourments. Enfant, vous pouvez vous prendre tout en pleine face sans avoir pu être protégé. Mon travail : être un filtre qui rend supportable le réel. Et ce filtre, c’est la tendresse, l’humour, l’optimisme. S’il gagne en efficacité, il devient une puissance.
Infos pratiques
- Vendredi 8 et samedi 9 novembre de 10 heures à 19 heures, dimanche 10 novembre de 10 heures à 18 heures à la Halle aux toiles à Rouen
- Tarif : 3,50 €, gratuit pour les enfants de moins de 18 ans, les étudiants, les familles nombreuses et les bénéficiaires de minima sociaux.
- Programme complet sur www.lismoilesmots.fr
- Aller au festival en transport en commun avec le réseau Astuce
- Des places sont à gagner