Après Icare, Emily Loizeau publie La Souterraine, un album poétique et puissant. Elle partage à nouveau un constat du monde. C’est un tableau bien évidemment très sombre quand elle évoque les bouleversements climatiques, les relations toxiques, l’exil, les fracas de la vie, le sentiment d’impuissance… Dans ce chaos, Emily Loizeau amène de la beauté, de la lumière et un bel élan. Travaillé avec John Parish, La Souterraine, où la voix de la chanteuse prend une plus grande amplitude, confirme un virage rock entamé dans Icare. Entretien avec Emily Loizeau avant son concert samedi 1er février au Trianon transatlantique à Sotteville-lès-Rouen
La Souterraine se place dans une continuité de votre précédent album, Icare. Aviez-vous besoin à nouveau de poser un état de santé du monde ?
Je ne sais pas si j’en avais besoin. Ce disque a été écrit de manière imprévue. J’ai composé la musique pour le documentaire, La Vie devant elle, réalisé par ma sœur, Manon, sur une jeune Afghane, Elaha, et pour le spectacle de Fabrice Melquiot, Lazzi qui parle de la fin d’un cinéma et d’un humour. Cela résonnait beaucoup avec Icare. Elaha, cette adolescente pleine de vie, belle et solaire, a été le cœur battant de La Souterraine. J’ai alors déroulé ce fil et ressenti le besoin de mettre des mots pour décrire un état des lieux d’un monde noir, mortifère et cynique. Je ne pensais pas écrire sur un tel monde.
Vous êtes une femme engagée. Quel regard portez-vous sur les dernières actualités, notamment celles venant des États-Unis ?
Nous sommes aux portes du fascisme. Il y a eu un salut nazi. Nous y sommes. Il est nécessaire d’agir, de résister de toute urgence. Hier soir, j’ai regardé La Rafle avec ma fille qui est en classe de 3e et étudie la Seconde Guerre mondiale. À la fin, son émotion a été très grande. La mienne aussi. Après, j’ai ouvert les réseaux et je découvre ce salut nazi. J’étais glacée. Comment peut-on en arriver là ? Il faut maintenant une réaction de la France et de l’Europe pour parvenir à changer la donne. Ce qui est beau cependant dans cette situation actuelle, c’est la volonté de résistance des gens qui n’existait pas ces dernières années. Cela crée des mouvements. Nous réfléchissons à nous unir, à ne pas subir, à résister pour défendre nos métiers et de nos valeurs, pour tisser des liens. De plus en plus de personnes commencent à vouloir se mobiliser pour s’emparer de leur avenir. Par ailleurs, il y a une génération qui arrive et qui est forte. Moi, je suis une conteuse qui a le micro, qui voyage et qui peut partager des valeurs. Je le fais de manière poétique, joyeuse, rock, musicale et responsable.
Dans le titre, La Souterraine, vous dites aussi que certains préfèrent se cacher et ne pas voir les le chaos.
Malheureusement, le mouvement de notre société ultra-libérale nous définit comme des êtres voulant posséder, s’accaparer de manière masculine les femmes, la nature, les enfants, le monde, l’espace. Il veut nous faire croire que nous avons besoin de consommer et d’épuiser les ressources pour exister, que nous devons nous protéger des autres. C’est un mouvement global, fort et puissant et certains croient en ce récit. Le reste n’étant que rêverie, utopie. Pourtant, il est possible d’imaginer autre chose et certains le font. Or ils sont minoritaires. Dans La Souterraine, une femme brûle, le monde brûle et nous dansons sous une boule à facettes. Nous ne discernons pas le réel. C’est là qu’il faut une résistance.
Est-ce que La Souterraine ne pourrait pas aussi être un refuge, certes temporaire ?
Oui, exactement.
Peut-on faire un parallèle entre ces deux chansons, La Souterraine et Éclaire-moi ?
C’est Fabrice Melquiot qui a écrit Éclaire-moi. J’ai rebondi sur son texte. La clé de tout cela, c’est l’amour. L’amour sauve. Quand cette femme dit à l’être aimé : arrache-moi le cœur, elle va dans le mur. Elle n’est plus là. Éclaire-moi est la face solaire de l’amour qui est plus sombre dans La Souterraine.
Vous parliez de votre besoin de mettre des mots sur des faits. Pensez-vous que les mots gardent leur sens dans ce flow de discours ?
Nous avons une responsabilité à prendre soin des mots que nous choisissons. Quand on est journaliste, homme politique, penseur, auteur — et je mets tous ces termes au féminin — il y a une réelle responsabilité. Les mots sont des vecteurs. Or ils sont utilisés à grand renfort de n’importe quoi. Ils sont vidés de leur sens. C’est notre mission de donner un sens à la beauté. C’est pour cette raison que je conçois mes concerts comme une fête, un geste de résistance. Le spectacle, en général, doit être une fête, des retrouvailles, des moments pour se parler, pour mettre de la joie, du courage, du souffle. C’est un vecteur puissant, notre seul refuge et notre seul espoir.
Est-ce votre Route de Vénus ?
C’est exactement ça. À l’histoire d’Elaha, je voulais trouver une dimension universelle. Cette jeune fille a décidé de prendre la route de l’exil. Qu’est ce qui se passe ensuite ? Qu’est-ce qui se passe dans sa tête ? Cela parle de notre émancipation.
Vous gardez espoir, dites-vous. Qu’est-ce qui nourrit cet espoir ?
Mes enfants, fondamentalement. Je n’ai pas le droit de ne plus avoir d’espoir. Je fixe mon regard sur la vie, sur l’instant, sur ceux qui m’aiment, sur la beauté. Cette joie est vitale et donne envie de continuer à se battre. Elaha me donne un espoir fou. Je n’ai pas le droit de baisser les bras quand on voit ce qu’elle a vécu.
Il y a un mot que l’on entend peu et qui traverse vos propos, c’est bienveillance.
C’est un mot qui est beaucoup, beaucoup utilisé de manière galvaudée. Il a été vidé de son sens. Pourtant, il est important. Je parle de bienveillance à mes enfants et je m’en parle à moi-même. Aujourd’hui, nous sommes davantage dans un quant-à-soi, dans nos souffrances. C’est compliqué de s’ouvrir à celles des autres et à la réalité des autres. C’est pourtant l’enjeu de tout : prendre soin du vivant.
L’univers musical de La Souterraine, toujours en lien avec Icare, devient encore plus rock.
Depuis Icare, je trace un sillon avec un piano acoustique que j’ai transformé avec des pédales d’effets et des guitares électriques. C’est en effet un sillon plus rock. Je l’ai voulu ainsi pour avoir un élan de soulèvement. Le constat est noir mais nous cherchons la lumière. Le côté cathartique est important.
Infos pratiques
- Samedi 1er février à 20h30 au Trianon transatlantique à Sotteville-lès-Rouen
- Tarifs : de 32 à 16 €
- Réservation au 02 35 73 95 15 ou sur www.trianontransatlantique.com
- Aller au concert en transport en commun avec le réseau Astuce