Mathias Mlekuz : « ce film peut aider beaucoup de parents »

Mathias Mlekuz embarque son ami sur le chemin du deuil : « Après la sortie du film, nous continuerons toujours à être tous les deux » assure Philippe Rebbot / Photo : Emmanuel Guimier

Ces deux-là sont de vrais amis, des amis comme on aimerait tous en avoir. L’un d’eux, Mathias Mlekuz, décide de refaire le voyage que son fils Youri avait entrepris avant de disparaitre tragiquement. Mais pas question de le faire seul. Alors il embarque de la côte Atlantique jusqu’à la Turquie, son grand copain, Philippe Rebbot. Et comme Youri voyageait à vélo, eux aussi, rejoindront la Mer Noire À bicyclette !  Préparez vos mouchoirs car ces deux hommes vont vous émouvoir autant qu’ils vous feront sourire.

Avaler les kilomètres à vélo n’est pas une mince affaire, surtout quand on n’est pas sportif ou qu’on a quelques kilos en trop. Mais le sujet n’est pas l’exploit sportif. Le sujet, c’est cette amitié qui va permettre à un père de soigner son chagrin après la mort de son fils. Et on ne peut pas être plus sincères et plus justes que Mathias Mlekuz et Philippe Rebbot qui laissent la caméra filmer les péripéties — parfois drôles — de leurs différentes étapes, mais surtout les discussions intimes qui découlent de ce voyage. Et les sujets ne manquent pas : l’amour, l’amitié, le deuil, la culpabilité, la paternité, la transmission… 

Et si cela ne suffisait pas pour vous donner envie d’aller voir ce film, sachez qu’avec Vingt dieux, Valois de diamant du dernier festival du Film francophone d’Angoulême, À bicyclette ! a lui aussi fait un tabac. D’ailleurs il est reparti avec le Valois du Public mais aussi celui de la Mise en scène, et de la Meilleure musique. C’est dire… Rencontre avec le tandem Mathias Mlekuz et Philippe Rebbot, deux inséparables qui se relayent pour répondre à nos questions.

Parler du film, est-ce une façon de prolonger le voyage ?

Philippe Rebbot : Toutes les rencontres prolongent l’événement qui s’est produit il y a deux ans avec la mort de Youri. Dans ce sens-là, oui, on poursuit le voyage et on est contents d’en parler tous les deux…

Mathias Mlekuz : C’est vrai, on accompagne les spectateurs depuis la première projection publique, il y a six mois à Angoulême. Et puis, on continue à s’épauler tous les deux.

D’ailleurs Mathias, auriez-vous fait le voyage seul ?

MM : Non pas du tout. Je ne trouve rien de plus désespérant que d’être devant un beau paysage et de ne pas avoir quelqu’un à côté pour lui dire  : « T’as vu comme c’est beau ! » Mais surtout, je voulais être avec mon copain, parler avec lui. Seul, c’est le silence. Seul, il n’y aurait jamais eu de film.

PR : Ou il aurait été pathétique. Seul, il y aurait eu juste Mathias pleurant sur les routes. Il n’y aurait pas eu sublimation de l’événement.

Ce défi de partir à bicyclette ne représentait-il pas une véritable épreuve ?

PR : « Oui, mais j’ai envie de dire que la mort de Youri, la tristesse qui en découle, anesthésie tout le reste. Finalement, c’est plutôt un voyage intérieur qui se faisait sans difficulté. On est parti avec ce fardeau qu’on a cherché à partager, donc finalement, faire du vélo, rouler, diner et dormir dans des campings, peu importe. De toute façon, on était ailleurs mais ensemble.

Les soirées au camping nous offrent des moments quasi philosophiques. Aviez-vous préparé les sujets que vous vouliez aborder ?

P R : Franchement, on ne savait pas de quoi on allait parler. On ne savait même pas si on allait parler. D’ailleurs, au début, j’ai pensé qu’on allait faire un film muet. 

MM : Chacun parlait de ce qu’il voulait, comme il voulait. Tout s’est fait dans une totale liberté et le film s’est vraiment fait au montage.

PR : Évidemment, en creux, toutes ces conversations sont quand même chargées de la présence de Youri ou de son absence, et ça donne de l’intensité au moindre mot, à la moindre lumière, au moindre endroit de la vie.

Un moment de vie où plane la mort quand Mathias évoque son père…

MM : Oui, je parle de l’absence de mon père. Au moment du décès de Youri, j’aurais aimé que quelqu’un de fort entre guillemets, plus grand que moi, me prenne dans les bras. Oui, j’aurais aimé que mon père me prenne dans ses bras à ce moment-là or il était mort, et en même temps je n’aurais pas supporté le chagrin de mes parents. C’est paradoxal parce que vous souhaitez que quelqu’un soit encore en vie pour vous aider, et en même temps vous vous dites que c’est bien qu’il soit mort…

PR : En vous écoutant, je pense que j’ai encore le mien et je réalise qu’avoir un parent, ça rassure même de loin. Même si maintenant, c’est moi qui m’occupe plus de mon père que lui de moi.

Ces conversations émouvantes sont ponctuées de moments drôles comme la soirée chez une propriétaire autrichienne exigeante dont vous ne parlez pas la langue… 

M M : « Oui, on suivait l’itinéraire quasi imposé par mon fils et on savait qu’à la fin, on allait voir Marzi (Marzieh Rezaee, la petite-amie de Youri, ndlr) et entre les deux, on faisait des rencontres. Celle dans le Airbnb est, entre guillemets, scénarisé dans le sens où ce n’est pas celui où Youri s’est arrêté parce que j’avais perdu l’adresse. Là. c’est une amie comédienne (Adriane Grządziel, ndlr) qui nous accueille, mais c’est toujours de l’impro : elle nous reçoit chez elle et nous donne les règles à suivre dans son appartement. C’est drôle parce que je savais que Google traduction disait n’importe quoi. Cette séquence, c’est une heure, une heure trente de rigolade, et j’ai dû en jeter 75 %. Tout le monde riait, les caméramans compris, on ne pouvait pas exploiter les images. Google trad c’est du bonheur, c’est extraordinaire !

PR : C’est des blagues avant les blagues.

Comme celle de la porte de la douche qui ne s’ouvre pas…

PR : Ça, c’est du vécu. Mathias s’est retrouvé bloqué dans la douche et moi, pendant une minute, j’ai eu le doute. Je ne savais plus comment ouvrir la porte : on est resté comme deux ronds de flancs.

MM : Le lendemain, on a décidé de tourner la scène et la mettre dans le film.

Toutes les scènes du film semblent spontanées. Comment avez-vous organisé ce tournage si particulier ?

MM : Le principe, c’était toujours de ne faire qu’une seule prise. On était avec une petite équipe et la caméra tournait pendant une heure, une heure et demie. On ne refaisait jamais.

PR : Nous, on parlait, et les gars venus pour filmer allumaient la caméra selon leurs sensibilités. C’était déjà comme un échange à sept, chacun avec ses compétences.

MM : En fait j’ai jamais dit « Moteur », ni « Ça tourne », ils étaient libres de filmer ce qu’ils voulaient, quand ils voulaient.

Le montage a dû être particulièrement complexe… Qui prend les décisions ?

PR : Mathias, c’est le réalisateur.

MM : Avec la chef monteuse, Céline Coarec, on a finalisé presque quatre heures de films sur cent quatre-vingt heures de rushes. Après, on a fait des choix mais ça n’a pas été douloureux, je suis très content d’avoir obtenu un ensemble cohérent d’une heure et demi.

Le film a déjà reçu beaucoup de prix. Avez-vous été surpris ?

MM : Lors de la première projection publique à Angoulême, j’ai compris la portée universelle du film qui peut aider d’autres familles, d’autres parents.