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Au concert, il faudra être assis

photo : Pien Muller / Unsplash

Cette nouvelle année 2022 commence avec des restrictions dans le secteur des musiques actuelles. Pas de concerts debout jusqu’au 23 janvier ! Ce qui entraine pour les salles des adaptations, pour les artistes, des annulations et des reports. 

Personne ne les avait vu venir. Elles sont arrivées entre la dinde de Noël et le champagne du Nouvel an. Ce sont les nouvelles mesures restrictives dans le milieu culturel. Le 27 décembre 2021, le Premier ministre a annoncé l’interdiction des concerts debout et le retour des jauges ne pouvant pas dépasser les 2 000 personnes en intérieur et 5 000 en extérieur. Le tout à partir du 3 janvier et pendant trois semaines, 

C’est la stupéfaction dans tout le monde des musiques actuelles. « Avant Noël, nous savions que la situation se tendait. Le fait de fermer les discothèques nous montrait que le gouvernement avait compris : il faut épargner le secteur culturel. Cette décision nous révulse », remarque Aurélie Hannedouche, déléguée générale du Syndicat des musiques actuelles. « Pour toute l’activité de la musique, c’est dramatique », observe Valérie Baran, directrice du Tangram à Évreux

Les sentiments de colère et d’incompréhension dominent encore et toujours. Se mêlent ceux d’agacement, d’accablement et de lassitude. « Nous avons l’impression d’une forme de discrimination », estime Jean-Christophe Aplincourt, directeur du 106 à Rouen. « Le gouvernement devait trouver un bouc-émissaire, s’insurge Aurélie Hannedouche. Nos salles ont été fermées pendant la période des vacances. Comment notre activité a-t-elle pu influer sur la courbe épidémique ? ». Pour Paul Moulènes, directeur de La Traverse à Cléon, « cette décision a été prise sans consultation. C’est difficile à accepter mais nous l’acceptons quand même. Peut-être avons-nous été trop optimistes ? Une nouvelle fois, une partie de la culture n’est pas considérée et elle est présentée comme une source de danger ». 

Aurélie Hannedouche rappelle les résultats des études menées tout d’abord par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris pendant le concert d’Indochine au printemps 2021, puis par l’Institut Pasteur en novembre 2021. Tous concordent. « Nos lieux sont moins dangereux que les écoles et les transports et nous n’avons jamais créé de clusters ».

Des reports encore

Une telle décision reflète, selon la déléguée générale du SMA, une « méconnaissance d’un milieu. Beaucoup nous collent encore une image d’irresponsables. Pour eux, les musiques actuelles sont un truc de jeunes qui boivent de la bière. Ils ne les considèrent pas comme un vrai secteur avec de vrais métiers. Pourtant, pendant les confinements, il a été démontré que la musique n’était pas accessoire. On en a beaucoup écouté ».

Conséquences de ces mesures : « un grand nombre de dates vont encore être annulées. Il est impossible de passer d’une configuration debout avec 3 personnes au m2 à une configuration assise avec 1 personne au m2 », selon Aurélie Hannedouche. Comme une histoire sans fin. « À un moment, cela va devenir trop compliqué. Nous ne pouvons pas saturer les plannings des salles. Le public ne viendra pas s’il y a six concerts par semaine. L’offre sera trop abondante et les porte-monnaie n’auront pas une taille infinie ». Aux annulations parce qu’il y a « des propositions artistiques qui ne peuvent s’adapter » constate la directrice du Tangram, s’ajoutent de nouveaux reports. Au 106 à Rouen, les concerts de P.R2B et de Benjamin Biolay sont annulés. Ceux de Thomas Fersen et Têtes raides sont reportés. Walter Trout reviendra à La Traverse à l’automne prochain. Au Tangram à Évreux, le programme se trouve bouleversé.

Jean-Christophe Aplincourt pointe d’autres répercussions. « Il y aura moins de location de matériel. Les intermittents et le personnel au bar vont moins travailler. C’est de l’emploi qui disparaît ».

Un coup de frein

Ces restrictions sont décidées à « un moment où le public était en train de reprendre le chemin de nos salles. Le trimestre passé était encourageant. Les protocoles étaient bien en place. Il y a cependant eu besoin de mettre de l’huile dans les rouages. À nouveau, tout cela va être compliqué », craint Paul Moulènes. Même constat de la part du directeur du 106 : « une dynamique se construisait. La courbe des ventes remontait. Cette annonce a coupé cet élan ». Valérie Baran, anticipe également « une baisse de la fréquentation encore ce mois de janvier ».

Le Syndicat des musiques actuelles et la FEDELIMA demandent une équité de traitement entre les différents établissements recevant du public, la poursuite des aides pour traverser cette période et la reprise des concerts debout le 24 janvier 2022. « Circuler, bouger, prendre un verre font partie de l’expérience de la soirée », rappelle Valérie Baran. Comment alors envisager la suite ? « Ce sera critique jusqu’aux vacances de février », selon Jean-Christophe Aplincourt. Ce manque de visibilité sur le moyen terme place les équipes des lieux culturels dans des positions inconfortables. « Nous aimerions avoir des perspectives à trois mois plutôt qu’à trois semaines, indique le directeur de La Traverse. Pour travailler sur les concerts de février et de mars, c’est maintenant. Or, il est difficile de se projeter ». Valérie Baran déplore : « l’accalmie a été trop brève ».

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