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Élise Vigier : « Pour Baldwin, le monde est une cohabitation »

C’est l’histoire de la famille Montana. Hall va traverser ses souvenirs. Il y a tout d’abord son frère, Arthur, homosexuel, chanteur de gospel avec ses amis, Crunch, Red et Peanut. Les Montana croise Julia, une jeune fille prise dans l’étau de la religion avant de se prostituer, et son frère, Jimmy, le fils délaissé, amant d’Arthur. Ils sont les personnages de Just above my head, le roman de James Baldwin (1924-1987) traduit sous le titre de Harlem Quartet. L’auteur américain raconte le Harlem des années 1945 à 1975 dans cette épopée. Trois décennies pour évoquer l’amour, la mémoire, la religion, le combat pour les droits civiques, le sexe, la violence. Élise Vigier, metteuse en scène, associée à la direction de la Comédie de Caen, porte à la scène ce récit, nourri de musique et de vidéo. C’est jeudi 23 et vendredi 24 janvier au CDN de Normandie Rouen. Entretien avec Élise Vigier.

Est-ce que le livre de James Baldwin vous accompagne depuis plusieurs années ?

C’est mon amie, comédienne, Nanténé Traoré, qui m’a offert ce livre. J’avais 20-25 ans. À la lecture, j’ai été bouleversée. Je suis tombée en amour pour cette histoire. Je l’ai ensuite offerte à tous mes amis. C’est un roman que j’ai aimé totalement. Ce qui m’a aussi touché, c’est le rapport entre les enfants et le monde qu’expose Baldwin. Il est dans une préoccupation absolue. Quel monde va-t-on leur laisser ? Quand on met en scène, on se demande toujours quel texte on peut monter. J’ai pensé à Harlem Quartet qui était toujours dans un coin de ma tête. Ce travail restait cependant une folie. Le livre compte 800 pages. J’ai commencé à en parler autour de moi et on m’a dit : fonce !

À quel endroit ce roman de Baldwin vous a bouleversé ?

À plein d’endroits. C’est avant tout à un endroit intime et indicible. Harlem Quartet parle de l’amour, de l’amitié, du corps, notamment du corps d’un être vivant qui sait qu’il va disparaître. Baldwin met des mots sur tout cela. Il raconte l’histoire d’une bande d’amis de jeunesse. Peu importe qu’il soit hétérosexuel, homosexuel, blanc, noir… Il n’est pas dans un manichéisme. Il cherche un endroit d’humanité. Pour Baldwin, le monde est une cohabitation. La vie est un bordel.

Quelle a été votre étape dans cette adaptation pour la scène ?

Nous avons eu du temps pour travailler le texte mais peu de temps au plateau. J’ai tout d’abord sélectionné les pages qui me plaisaient le plus. Nous sommes ensuite partis à Harlem avec 400 pages. Nous avons visité tous les lieux du roman. Nicolas Mesdom a tourné beaucoup d’images. Nous sommes rentrés et Manu Léonard et Marc Sens ont commencé à composer la musique. Quand nous sommes repartis à Harlem pour tourner des scènes de fiction, Saul Williams a revisité des gospels.

Quelle partie avez-vous retenu pour le texte final ?

Cette histoire est une marche dans la mémoire, travaillée avec Kevin Keiss. Pour ce texte, il fallait les images, la musique et une bande d’acteurs qui s’aiment. La rencontre a eu lieu. Pour cette grande épopée, il fallait partir tous ensemble. 

Sont-ce les images qui permettent de traverser les décennies ?

Nous nous sommes beaucoup documentés. Nous avons lu les autres ouvrages de Baldwin qui sont plus des essais, vu des films d’archives. Nous avons fait un travail passionnant. Cette période 1945-1975, c’est hier. Nous avons retraversé toutes ces années très intéressantes. Des années durant lesquelles le corps noir a subi la ségrégation. Cela reste dans les corps des générations suivantes. Nous glissons dans le temps avec les images, les costumes, les perruques, les corps. Les images sont comme une peau, un tableau. Elles donnent de la profondeur.

La musique aussi ?

La musique occupe toute la marche dans la mémoire, dans l’indicible. Elle n’est pas reconstitution. Baldwin fait chanter à Arthur la douleur et la lutte.

Quel regard portez-vous désormais sur Harlem Quartet depuis la création de la pièce ?

Je suis très contente de ce que nous avons fait. Ce livre restera toujours dans ma tête. Il y a des bouts de phrases, des sensations qui sont encore là. Aujourd’hui, c’est partagé avec d’autres. Ce sont des super acteurs avec lesquels je créerai un autre spectacle.

Infos pratiques

  • Jeudi 23 et vendredi 24 janvier à 20 heures à l’espace Marc-Sangnier à Mont-Saint-Aignan.
  • Rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation du vendredi 24 janvier
  • Tarifs : 20 €, 15 €. Pour les étudiants : carte Culture.
  • Réservation au 02 35 70 22 82 ou sur www.cdn-normandierouen.fr