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Eva Doumbia dresse le portrait d’une jeunesse désenchantée

Il reste deux jours pour découvrir Le Iench, une pièce de théâtre bouleversante écrite et mise en scène par Éva Doumbia, au CDN de Normandie Rouen.

Qui sera le prochain ? Une liste de prénoms et de noms vient ponctuer le texte. On ne les connaît pas tous mais certains sont familiers parce qu’ils ont été repris dans les médias. Ce sont ceux des personnes tuées sous les coups de la police en France entre 2005 et 2019. Qui sera le prochain ? La question est souvent posée par les différents personnages du Iench, joué jusqu’au 10 octobre au CDN de Normandie Rouen.

Le prochain, ce sera Drissa, ce jeune garçon de 21 ans qui voulait tout simplement être « un mec banal » avec une maison, une famille, l’école, les filles, le permis de conduire, les boîtes de nuit et un chien. Depuis l’âge de 11 ans, Drissa rêve d’avoir un chien que lui refuse son père. « Pas de ça chez moi », lui répond-il sans cesse.

Dans Le Iench, Éva Doumbia dresse avec tendresse et humour le portrait d’une jeunesse désenchantée. Drissa et Ramata sont jumeaux. C’est eux que l’autrice et metteuse en scène fait grandir dans un pavillon de banlieue au sein d’une famille d’origine malienne. Il y a le père, Issouf, froid, autoritaire qui travaille, mange et regarde les actualités à la télévision. Quand il est devant le petit écran, il est conseillé de ne pas le déranger. La mère, Maryama, est une femme soumise. Quant au petit frère, Seydouba, il joue les espiègles. 

Une esthétique cinématographique

Drissa a deux copains : Mandela, un garçon quelque peu résigné, né à Haïti et adopté par un couple d’enseignants blancs divorcés, et Karim, d’origine marocaine, qui n’en peut plus de respirer l’air des usines, du béton, de voir le gris de ces zones rurbaines. Au fil des années, les occupations des garçons vont évoluer. il y a les parties de baskets avant les discussions qui finissent en chamailleries, les interrogations, surtout les incompréhensions. Drissa ne renonce jamais à abattre les obstacles. Au contraire. Il questionne, fait tout pour lever les barrières et tenté de devenir ce « mec banal ». Or « la banalité est une affaire de blancs », lui rappelle le videur de la boîte de nuit qui lui barre l’entrée. 

Il faudra attendre la disparition de Drissa pour que le père partage l’histoire de la famille et se réconcilie avec sa fille. Ramata, qui n’a pas hésité à raser ses cheveux pour être notée, comme les autres filles, par les garçons de sa classe, va prendre le flambeau de la révolte parce qu’elle ne pourra jamais se taire.

Dans Le Iench, Éva Doumbia raconte avec justesse et réalisme la vie de cette famille d’exilés, perce l’intimité de celles et ceux qui vivent avec ce sentiment de différence renvoyé par une société qui prône paradoxalement l’intégration. Il y a aussi les humiliations, les provocations et les violences policières que l’autrice a minutieusement étudiées. Avec elle, les mots claquent et résonnent fort. Dans une esthétique cinématographique, les scènes, interprétées par une équipe remarquable de comédiennes et de comédiens, s’enchaînent à grande vitesse. L’histoire emmène dans un grand tourbillon, au rythme du plateau tournant, et ne peut prendre fin qu’avec une issue fatale. Elle laisse sans voix après une traversée d’émotions.

Infos pratiques

  • Vendredi 9 octobre à 20 heures, samedi 10 octobre à 18 heures au théâtre des Deux-Rives à Rouen.
  • Durée : 1h45
  • Spectacle tout public à partir de 14 ans
  • Tarifs : 15 €, 10 €. Pour les étudiants : carte Culture
  • Réservation au 02 35 70 22 82 ou sur www.cdn-normandierouen.fr
  • photo : Abdoulaye Doumbia