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Feu ! Chatterton au 106 : « C’est très difficile de trouver un moyen de lutter »

L’étape du deuxième album est franchie. De plus avec un succès mérité. L’Oiseleur, la suite de Ici Le Jour (a tout enseveli), est sorti le 9 mars 2018. Feu ! Chatterton, en concert vendredi 6 avril au 106 à Rouen, enchante de nouveau. Il conserve cette singulière élégance, les influences littéraires et ce rock incandescent. Cette fois, le quintet parisien le teinte davantage de hip-hop, le préfère plus brut. Le romantisme et le lyrisme, si caractéristiques de Feu ! Chatterton, est là mais il devient sauvage et moderne. L’Oiseleur est est une des plus belles sorties de ce début d’année 2018. Entretien avec Sébastien Wolf, guitariste.

Est-ce que L’Oiseleur, le deuxième album de Feu ! Chatterton, est une nouvelle partie de l’histoire du groupe ?

On peut le voir de cette manière. Dans notre courte histoire, il est peut-être même la troisième. Le premier chapitre correspond à cette période durant laquelle nous étions étudiants et que nous faisions de la musique en tant qu’amateurs. La deuxième période a commencé lorsqu’un public s’est intéressé à nous et s’est constitué autour du premier disque. Là, nous sommes dans une sorte de troisième phase. Nous avons travaillé de manière différente. Tout d’abord parce que, au moment où nous avons entamé l’écriture de l’album, nous avions très peu de temps. Un premier album est une collection de chansons écrites au hasard ou en fonction des envies sur des musiques composées dans une cave. Pour L’Oiseleur, il a fallu retrouver une sève que tout artiste a l’impression de perdre après un projet. Ce qui frappant, c’est que nous avons senti cette même sincérité dans le travail qu’au début du groupe. Pourtant les deux années précédentes nous avaient bien chamboulés.

Pourquoi ?

Nous avons tous été chamboulés à plusieurs endroits. Lors d’un tournée, vous devenez nomades. Alors que nous avons plutôt des modes de vie de sédentaires. Nous trainons dans les mêmes quartiers avec nos amis. Nous sommes proches de nos familles. Lors des tournées, vous n’êtes pas là le week-ends, certains soirs de la semaine. Chaque journée est tendue vers le soir, le concert, le moment où nous allons partager nos chansons. Nous aimons ça. Il y a beaucoup d’énergie et une forme de trac latent, de tension. C’est chargé émotionnellement.

Qu’est-ce qui fait, selon vous, la cohérence de cet album ?

C’est a posteriori que nous avons vu la cohérence. Les textes ont été écrits après la musique. Quelques-uns sont plus directs et sont plus en lien avec la musique. Mais tout cela n’a pas été réfléchi. Chaque chanson est une succession d’accidents. La cohérence vient peut-être aussi du fait que l’album a été écrit dans un temps court et que nous étions physiquement présents dans la même pièce.

Dans cet album, le hip-hop a pris une place dominante. C’est un retour ?

Oui, c’est un retour. Le hip-hop a toujours été une composante importante. Avant Feu ! Chatterton, nous avions un groupe de slam mélangé à du hip-hop et du jazz. C’est une musique qui nous influence et que nous écoutons. Le hip-hop surprend par sa production. Il y a un vrai travail sur le son, avec les boîtes à rythmes. Nous avons aussi été fascinés par le travail sur les synthétiseurs. Il ne faut pas oublier qu’Arthur (Teboul, auteur et chanteur, ndlr) vient de là. Cela s’est fait de manière naturelle.

Le hip-hop est une musique qui se mélange aussi naturellement ?

Aujourd’hui, nous sommes surtout dans le décloisonnement. Le hip-hop est une musique à part entière qui se mélange. Avec des boîtes à rythmes et la basse, cela crée des rythmes chaloupés, une musique hybride.

Une musique plus puissante aussi ?

Ce n’est pas une question de puissance. Plutôt une question de liberté. On peut jouer avec les formes des morceaux. Cela nous plaît beaucoup. Sur cet album, nous avons cassé la structure des chansons. Dans la musique, il faut se sentir libre.

 

Dans cet album, il y a un titre qui dure plus de 6 minutes.

Nous sommes fans de rock progressif. Il y a quelques groupes, comme Pink Floyd, Radiohead, qui nous ont influencés et qui ont composé des morceaux très longs. Le titre, Souvenir a une première partie composée de couplets et de refrain. Arthur avait tellement de choses à dire qu’il a continué en changeant la structure de la chanson et en gardant la cohérence. Sinon, on se serait très vite ennuyé.

Vous avez évoqué l’utilisation des synthétiseurs, présents sur l’album. Quelle a été votre approche ?

Nous aimons beaucoup les synthétiseurs analogiques, leur texture. Avec eux, on peut se laisser porter. On joue avec les réglages. On s’amuse pendant des heures pour trouver un son. D’ailleurs, pour Souvenir, on a mis du temps à trouver ce que l’on voulait.

Comment travaillez-vous, en tant que musicien, avec Arthur Teboul et sa voix si singulière ?

Il faut laisser une place à sa voix, cette tessiture si particulière avec un spectre très large, et construire une harmonie, une mélodie autour. Quand nous travaillons les arrangements, nous faisons attention à ce que cette voix existe. C’est un équilibre à trouver. Comme sur scène.

Vous êtes de jeunes musiciens. Pourquoi avez-vous consacré cet album à un thème majeur, le souvenir , que vous évoquez sans nostalgie ?

C’est en effet l’idée centrale de l’album. Peut-être est-ce une force ? Nous avons grandi. Le premier album était plutôt mélancolique, sombre. Celui-ci parle de passé, de souvenir, de perte. Comme nous aimons le soleil et les belles journées. Ce soleil qui se couche chauffe encore. Il y a des souvenirs qui nous appartiennent et qui font exister ce que nous sommes.

La poésie est très présente, notamment avec le poème d’Aragon, Zone libre.

C’est un poème que nous aimons depuis longtemps. L’insérer dans cet album a beaucoup de sens. Aragon l’écrit quand il est en zone libre pendant l’été 1942. Il éprouve un double sentiment : il est heureux dans cet endroit et se sent coupable de l’être. Comme nous aujourd’hui. Nous savons qu’il y a plein de problèmes dans le monde. Nous avons ce sentiment d’impuissance. Nous n’avons pas d’armes pour lutter. C’est très difficile de trouver un moyen de lutter, de s’exprimer.

Pour vous, c’est la musique ?

On fait de la musique pour cela. On ne va pas non plus écrire un programme politique. On aurait de toute façon du mal à le faire. Mais on va égrener des sentiments. La musique est une sorte de jardin dans lequel on peut se retrouver loin du carcan de la société actuelle.

  • Vendredi 6 avril à 20 heures au 106 à Rouen. Concert complet
  • Première partie : Catastrophe