Gaétan Levêque : « Dans le cirque, on esquive un peu la chute »

photo : Irvin Anneix et Hélène Combal-Weiss

C’est un véritable ballet acrobatique qu’a écrit Gaétan Levêque. Esquive est un hommage au trampoline, un agrès qu’il explore depuis plus de vingt ans, et une ode à la liberté. L’acrobate, responsable de La Pépinière au Plus Petit Cirque du monde, réunit sur une plateforme construite avec un triple plateau entouré de trois trampolines six jeunes interprètes qui s’envolent, rebondissent, sautent, dansent, enchainent les pirouettes sur la belle musique de Maxime Delpierre. Là, ils prennent un malin plaisir à jouer avec la gravité tout au long de cette partition millimétrée. La troupe était en résidence au cirque-théâtre à Elbeuf et reviendra en janvier 2022. Entretien avec Gaétan Levêque.

C’est la première fois que vous n’êtes pas l’un des interprètes de vos créations. Pourquoi ?

Je suis trop vieux. C’est pour cela que j’ai écrit cette pièce. Il y a un moment que cela me trottait dans la tête. Il devenait compliqué d’être partout : faire du trampoline, développer des projets personnels, assurer la place que j’ai au Plus Petit Cirque du monde. Ce choix n’a pas été difficile parce que je fais du trampoline depuis vingt ans. J’ai commencé jeune. Cette transition professionnelle s’est faite en douceur et je mène de super projets. Le fait de sentir qu’être sur le trampoline devient douloureux génère du stress. Cet agrès est très exigeant physiquement et mentalement. J’avais envie de sentir que cette décision venait de moi. Je ne voulais pas terminer sur une blessure.

Est-ce que transmettre votre discipline, votre expérience vous animait depuis plusieurs années ?

J’ai abordé la transmission, la question de la pédagogie de l’acrobatie dès ma sortie d’école. J’ai toujours voulu garder ce lien. C’est un projet que j’ai souhaité entreprendre avec d’autres acrobates. Mais ce n’était pas vraiment prêt  dans ma tête. Aujourd’hui, c’est le moment. J’arrête de faire de la scène et du trampoline et je transmets à ces jeunes qui sortent des écoles.

Quel est votre rapport au trampoline ?

Le trampoline est toujours au fond de moi. C’est un agrès très grisant. Il n’est pas besoin de faire grand-chose pour rebondir, se sentir léger. Lors d’un cours, je suis remonté sur le trampoline et, aussitôt, j’ai ressenti des douleurs. Alors j’essaie de garder une distance tout en préservant un contact. J’aime imaginer avec des acrobates.

Rendez-vous hommage à ce trampoline dans Esquive ?

Oui, c’est un hommage. Quand j’ai abordé la question dramaturgie, j’ai voulu rassembler mes vingt ans de recherche et tout ce qui a été fait par des collègues trampolinistes. Le trampoline n’est pas un agrès si vieux. Il n’a pas une grande histoire mais il est porté par des personnes qui sont assez présentes. C’est très intéressant. 

Avez-vous imaginé la scénographie avant l’écriture du spectacle ?

J’ai toujours aimé partir d’une scénographie pour écrire un spectacle. C’est un terrain de jeu. Le trampoline permet tellement de choses en terme de jeu d’espace. Il permet le rebond, la prise de hauteur, les portées, la voltige. Il a aussi été l’objet de recherche chorégraphique. Il est enfin possible de s’en écarter. Au fil des réflexions, le projet d’Esquive s’est affiné avec, aussi, les questions techniques.

Est-ce que le mot esquive peut être un synonyme de cirque ?

Oui. L’esquive dans le trampoline me parle beaucoup. Elle parle cependant à plein d’endroits. Dans le cirque, on esquive un peu la chute. Dans ma vie, j’ai l’impression d’avoir esquivé plein de choses pour la bonne cause ou la moins bonne. Mais, à un moment, on ne peut plus esquiver. Sur le trampoline, il faut garder l’énergie, la maîtrise. On ne peut pas réaliser une figure de manière timide.

Est-ce également un jeu ?

C’est un jeu d’allers et retours. Sur le trampoline, il faut doser son énergie, sa peur, sa hauteur. Quand on prend de la hauteur, le moindre petit mouvement de pied, de bras va déclencher une rotation.

Avez-vous imaginé ce spectacle comme une chorégraphie ?

J’ai beaucoup été dans une direction chorégraphique de par ma formation au Cnac (centre national des arts du cirque, ndlr). J’ai plus été en contact avec des chorégraphes qu’avec des metteurs en scène. Mon approche est à la fois chorégraphique et acrobatique. Pour Esquive, j’ai travaillé avec un chorégraphe (Cyrille Musy, ndlr), fait appel à sa sensibilité. Nous avons construit des tableaux avec une écriture rythmique et acrobatique. J’avais en effet envie que ce spectacle ressemble à un ballet.

Comment avez-vous travaillé avec le musicien, Maxime Delpierre ?

Ce fut un pari, pour moi. J’avais envie de m’ouvrir à d’autres styles de musique. Je voulais de la guitare, un mélange de Neil Young et de techno, de rock et new wave. Avec cette troupe de jeunes acrobates, il fallait une couleur musicale qui fonctionne avec leur âge. Le musicien s’est projeté à leur âge.

  • photo : Irvin Anneix et Hélène Combal-Weiss