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Laetitia Shériff : « Je lutte pour garder ma part d’insouciance »

photo : Lise Gaudaire

C’est toujours agréable de retrouver Laetitia Shériff. La musicienne reste fidèle à ses influences et gagne toujours en intensité dans ses intentions musicales et dans les thèmes abordés. Stillness, le titre d’un quatrième album, dessine les contours d’un monde vu à travers des yeux remplis de doute et de colère, que l’on aperçoit sur la pochette bleutée. Dans ce disque qui appelle à un réveil, il y a en effet des cris de révolte, ponctués de moments d’apaisement. Entretien avec Laetitia Shériff avant Les Concerts de l’Impossible avec la scène nationale de Dieppe vendredi 4 juin.

Vous avez choisi comme titre, Stillness, pour un album qui n’est pas calme. Avez-vous souhaité brouiller les pistes ?

Non, pas du tout. J’aime bien jouer sur les mots. Par ailleurs, je trouve ce mot, Stillness, assez agréable à entendre. Pour cet album, j’ai voulu travailler sur ce qui engendre l’immobilité, ce chemin que l’on suit et qui nous mène à l’inaction. Alors que la pensée ne va pas dans ce sens. Il me semble qu’il y a un certain fantasme de l’action quand on se perd dans les affres des réseaux sociaux. Pourtant, il est important de prendre du temps pour soi, de faire un état des lieux. C’est toute une petite tambouille que j’ai faite pour cet album. Après, je laisse plus de place à la musique. J’aime apporter des contrastes, même au sein d’un morceau.

Prenez-vous ce temps pour vous ?

Oui, j’y arrive maintenant. Je m’impose ces moments de calme même s’ils sont courts. 

Est-ce pour être dans la pensée ?

Oui, je n’arrive pas encore à atteindre des stades de méditation. Cela passe aussi par des moments passés avec des gens. Il y a quelque temps, je me suis cassée le tendon d’Achille. Plusieurs personnes qui, pour la plupart, avaient des rythmes de vie intense, venaient me voir. Je leur disais qu’elles avaient le droit de se poser et de ne pas attendre que quelque chose pète pour le faire. Avec cela, j’ai appris à prendre soin de moi. La vie va vite. Elle est courte. Pendant les confinements, j’ai réussi à faire un point sur cet héritage intellectuel que l’on reçoit.

Comment regardez-vous le monde qui vous entoure ?

J’essaie de le voir tel qu’il est et de l’imaginer tel qu’il pourrait être. J’ai l’impression que l’on vit dans un monde parallèle à celui qui pourrait être à notre portée. Il y a beaucoup de bien en chacun d’entre nous. En revanche, d’autres ont passé un contrat avec les forces du mal. Pourtant, il y a une autre force, plus positive, qui ne demande qu’à jaillir. Pour que cela devienne évident, il faut sortir les gens de leur quotidien. Je sais que cela est impossible pour les mères qui élèvent seules leurs enfants ou les personnes qui sont obligées de fuir.

Qu’est-ce qui nourrit vos réflexions ?

Ce sont les autres, les lectures. J’ai beaucoup à intégrer. Il y aussi les rapports des sociologues et autres chercheurs qui savent mettre à la portée de tous leurs discours. Mais ce sont surtout les rencontres que je suis amenée à faire qui me nourrissent.

Vous êtes-vous laissé happer par les flux d’informations pendant les confinements ?

Oui, surtout le premier mois. Je continue encore. C’était important de s’informer pour avoir une forme d’analyse, savoir où se situer. Mais j’étais noyée. Malgré tout ce flot, il y a beaucoup de flou.

D’où ce titre, People rise up ?

Sans doute. J’ai écrit cet album juste avant le premier confinement. Cependant, des choses existaient bien avant. Est-ce pire qu’avant ? Je ne sais pas. Est-ce mieux ? Non. Ma crainte, c’est l’oubli, la mémoire immédiate qui nous définissent. J’avais aussi en tête des images de rassemblements.

La solidarité est un thème récurrent dans cet album. Pourquoi ?

C’est l’esprit solidaire et social qui a besoin d’une piqure de rappel. Et ce n’est pas seulement la solidarité entre voisins. C’est une valeur que je défends depuis toujours. Peut-être en raison de mon éducation.

Avez-vous gardé une part d’insouciance ?

Je pense. Je lutte pour garder ma part d’insouciance. C’est notamment en observant mon enfant que je continue à la faire vivre et à me libérer des choses qui me pèsent.

Êtes-vous aussi optimiste ?

Oui, carrément. Et cela en énerve certains. L’optimisme est naturel chez moi.

Cet album oscille entre colère et apaisement. Est-ce ce qui vous caractérise ?

Oui, je pense. Je vis seule la colère. On peut en avoir honte. C’est un sentiment sur lequel nous n’avons pas toujours les mots. J’ai cet avantage de pouvoir faire de la musique et d’exprimer cette colère qui viennent du comportement de nos dirigeants, des personnes intolérantes… On dit souvent qu’après l’orage arrive le beau temps et avec, l’apaisement.

Infos pratiques

  • Vendredi 4 juin à 18 heures sous le chapiteau des Saltimbanques à Neuville-lès-Dieppe.
  • Tarifs : 15 €, 10 €.
  • Réservation au à2 35 82 04 43 ou sur www.dsn.asso.fr
  • Concert avec Ladavina
  • photo : Lise Gaudaire

Les Concerts de l’Impossible !

  • Jeudi 3 juin à 19 heures à la scène nationale de Dieppe : Le Grand Orchestre des Mauvaises Langues. Concert gratuit
  • Samedi 5 juin à 18 heures sous le chapiteau des Saltimbanques de l’Impossible, parc paysager à Neuville-lès-Dieppe : Dafné Kritharas, Gabriel Saglio. Tarifs : 15 €, 10 €. Réservation au à2 35 82 04 43 ou sur www.dsn.asso.fr