Stephan Eicher : « si je n’avais pas eu Bach, je ne sais pas comment j’aurais pu traverser ce moment »

photo : DR

C’est une idée qui a germé pendant les confinements. Stephan Eicher, artiste aussi généreux qu’engagé, a construit avec son équipe un plateau itinérant. Le Radeau des Inutiles, un titre empreint de nombreux symboles et de références à l’actualité, emmène différents artistes à la rencontre des public. Du 6 au 10 juillet, il sera installé avec Le 106 sur la presqu’île Rollet à Rouen, endroit idéal pour partager musique et poésie. Stephan Eicher ne viendra pas seul. Il sera avec Rodolphe Burger qui connaît bien le site après avoir été artiste associé au festival Rush, Hania Rani, Raphaël, Retriever et Birds on a Wire. Entretien.

L’image du radeau est pleine de sens. Comment est venue cette idée ?

Je suis un musicien. Comme toutes les personnes qui évoluent dans le spectacle vivant, j’ai été interdit d’exercer mon métier. J’ai plutôt trouvé cela très bien que l’humanité s’arrête pour préserver la santé de tous. Plus tard, avec les données que l’on nous transmettait, il était difficile d’accepter de ne pas pouvoir jouer dehors, assis, masqué… Parallèlement à cela, j’ai perdu mes deux parents à six semaines d’intervalle. Je me suis installé près du lac Léman comme pour être près d’eux. Je me suis enfermé pour écrire des chansons. De ma fenêtre, j’ai vu un bateau couler. Cela m’a fait penser à la vie que je menais depuis un an. En Suisse, chacun est indépendant et doit s’assurer. C’est très violent. Là, j’étais au bout de mes forces. J’ai eu l’idée de fabriquer un radeau avec les bouts de bois de ce bateau qui flottaient. Comme j’ai gagné le Grand Prix de musique 2021 et gagné 100 000 francs, j’ai tout claqué dans ce projet de construction de ce radeau qui est une scène de théâtre avec tous les câbles nécessaires. C’est simple parce que l’on peut accueillir tout le monde. Le 106 avec son équipe de gens fantaisistes et courageux m’a proposé de l’emmener jusqu’à Rouen.

En choisissant le mot inutiles, faites-vous référence au débat français sur les activités essentielles et non-essentielles ?

Oui. Il ne faut oublier que des personnes ont perdu leur boulot. Les politiques utilisent souvent des mots sans réfléchir. Pourtant, cela a été une claque dans notre gueule. Honnêtement, si je n’avais pas eu Bach, je ne sais pas comment j’aurais pu traverser ce moment. Pendant ces périodes de confinement, il y a eu des bonnes choses. Au début, j’étais en Camargue avant de partir en Suisse pour mes parents. J’ai un fils qui a 20 ans qui a commencé à ranger la maison, jardiner… C’était très bien. Il y a eu aussi les animaux qui sont revenus. C’était aussi un temps où on pouvait croire en quelques utopies. Et si on mettait en place quelque chose pour le climat, contre le racisme, contre les violences faites aux femmes, contre les vieux colonialismes… Nous ne pouvons pas retrouver ce monde d’avant. Nous n’étions pas dans la bonne direction.

Il faut donc « être courageux » comme vous l’écrivez dans votre note sur Le Radeau des Inutiles ?

Oui, il faut du courage et aussi une certaine naïveté de croire que l’on peut s’en sortir avec un radeau. Je me couche toujours avec beaucoup de soucis. Le matin, quand je me lève, je suis devant une page blanche. Alors je recommence. C’est comme Sisyphe qui doit monter une grosse pierre en haut d’une montagne d’où elle retombe toujours. Mais il faut l’imaginer heureux. C’est la base de la création. Quand ça va mal, il faut prouver que l’on est là.

Pour ce projet, vous avez souhaité être très pédagogique. Une vidéo explique les coulisses de la culture. Pourquoi est-ce important pour vous ?

Il est très complexe d’organiser un concert. Un geste artistique ne se fait pas comme cela. Quand vous voyez l’affiche d’un événement avec un titre, un lieu, un prix, ce n’est pas vraiment la bonne histoire. Un musicien doit quitter l’école très tôt pour pouvoir répéter sur son instrument quatre heures par jour. Il est vrai que ce n’est pas la même responsabilité qu’un médecin mais il y consacre aussi sa vie.

À Rouen, vous accueillez plusieurs artistes sur votre radeau.

Ce qui est beau, c’est le partage. J’ai grandi avec ces valeurs. Il y aura des artistes que j’adore.

La programmation

  • Mardi 6 juillet à 19h30 : Stephan Eicher et Rodolphe Burger
  • Mercredi 7 juillet à 19h30 : Stephan Eicher et Hania Rani
  • Jeudi 8 juillet à 19h30 : Stephan Eicher et Raphaël
  • Vendredi 9 juillet à 20 heures : Stephan Eicher et Retriever
  • Samedi 10 juillet à 20 heures : Stephan Eicher et Birds on a Wire

Infos pratiques

  • Concerts en configuration tout assis sur la presqu’île Rollet à Rouen.
  • Tarifs : de 28,50 à 15 €
  • Réservation au 02 32 10 88 60 ou sur www.les106.com