Yveline Rapeau au cirque-théâtre d’Elbeuf : « Il n’est pas possible que nous gardions tous ces spectacles pour nous »

photo : Christelle Tophin

La saison du cirque-théâtre à Elbeuf s’est terminée juste une semaine après le début de Spring, consacré à la création contemporaine circassienne. Quelques spectacles de ce festival normand et printanier viennent enrichir cette programmation ponctuée du Temps des créations, des Grands Formats, avec cette année des Fantaisies, et d’un temps fort sur l’Afrique. Beaucoup de compagnies évoquent les désordres du monde et viennent sublimer les tourments, les détourner ou s’en amuser. Yveline Rapeau, directrice de la Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie, crée un dialogue entre les grands noms du cirque contemporain et les toutes jeunes compagnies. Entretien.

Est-ce qu’il y a une satisfaction plus grande à présenter une saison cette année ?

Oui, cela fait un bien fou. Je l’ai ressenti quand j’ai fini de lire la maquette de l’avant-programme. Grâce aux supports de communication, il est possible d’avoir une réalité, une objectivité de ce que l’on a imaginé, écrit sur du papier. Au premier coup d’œil, je me suis dit : je ne sais pas qui a fait cette programmation mais c’est formidable. Il est désormais possible de se projeter dans quelque chose qui va être possible. Nous n’oublions pas non plus qu’il puisse y avoir une seconde salve du virus. Mais nous faisons le pari que tout ira bien. Il n’est pas possible que nous gardions tous ces spectacles pour nous

Les artistes de cirque n’ont pas pu travailler pendant plusieurs mois. Est-ce que cette saison a été plus difficile à écrire ?

Oui, elle a été plus difficile à écrire. À certains moments, c’était même l’enfer. Ce qui est étrange, c’est que cela ne se voit pas. Cette saison ne porte pas les stigmates de cet accouchement dans la douleur. En découvrant cette programmation, le public pourra retrouver un élan et un souffle qui lui donneront envie de s’en mêler, de s’en approprier. Cette saison est faite de petits et grands formats. C’est toujours le critère artistique qui domine.

« Il y a une détermination à ne pas lâcher »

Dans cette programmation, les artistes et les compagnies parlent beaucoup des déséquilibres du monde. Est-ce dans leurs créations qu’ils cherchent un équilibre ?

C’est complètement ça. Il y a une détermination à ne pas lâcher, à ne pas se laisser emporter, déprimer, démolir… Aujourd’hui, nous vivons une entreprise de démolition. Il faut toute la fougue, tous les ingrédients et les techniques acrobatiques pour continuer à être heureux au sens figuré et au sens propre. C’est le fil rouge de cette saison. Chaque artiste va en effet trouver un équilibre dans sa discipline.

Ce qui n’empêche pas la peur.

Pour les artistes de cirque, la peur est omniprésente et ils la dépassent. Certains se mettent en danger. Cette peur est aussi symbolique. Nous vivons dans un monde qui fait flipper. Comme nous sommes très informés, nous ne pouvons pas l’ignorer. Nous sommes abreuvés d’informations sur l’état de ce monde, sur les domaines économique, social, écologique… Et la peur, c’est aussi le trac, celle de ne pas réussir son coup. Les propos sont toujours ambitieux. Les intentions sont fortes. Il est vrai qu’il y a toujours une part de maîtrise mais il faut traduire en acte ces intentions. Pour cela, il faut la rencontre avec le public.

Johann Le Guillerm revient avec deux propositions. C’est toujours un événement au cirque-théâtre.

C ‘est en effet un événement. J’ai fait une longue route route avec lui. Nous avons la chance d’avoir sa nouvelle création. Après son dernier spectacle, Le Pas Grand-Chose, contraire à ce qu’il a développé et dit jusqu’à présent, il sera sous un chapiteau, un écrin emblématique de ce génie du cirque contemporain. Terces, secret à l’envers, c’est son feuilleton et ce sera le troisième épisode dont il garde le mystère. Johann nous parle, raconte l’histoire, donne des éléments qui vont faire partie de sa proposition mais il ne nous dit pas son spectacle. Pendant cette saison, le public aura aussi la possibilité de voir Encatation. On mange dans son univers artistique sous la houlette d’un chef, Alexandre Gauthier, son complice. Cela va être magnifique.

Des escales en Afrique

Il y a un autre retour, celui de Yoann Bourgeois qui dit avoir décidé d’arrêter. Doit-on le croire ?

J’espère pour nous qu’il joue avec les mots. Lui aussi introduit beaucoup de mystère. Avec ces deux artistes, Johann et Yoann, nous sommes dans l’excellence. Yoann a fait un parcours au cirque-théâtre lors d’une carte blanche. Divers éléments avaient été créés à La Brèche à Cherbourg. C’étaient les prémisses des Paroles impossibles. Ce spectacle lui tient à cœur depuis longtemps. Il y a un enjeu puissant pour lui parce qu’il se demande s’il y a encore un après pour lui. Comme artiste, il ne va pas disparaître des plateaux.

Qu’est-ce que le Yokaï, titre du spectacle de la compagnie Defracto et d’Atama to Kuchi ?

Ce spectacle est un ovni. Nous sommes entre le jonglante et la danse butō. C’est la rencontre de deux univers artistiques, de deux cultures, japonaise et française, qui crée une étrangeté et de l’humour.

Durant cette saison, il y a plusieurs confrontations entre les cultures.

Nous allons faire plusieurs escales africaines. Nous avons créé les conditions pour qu’il y ait une des rencontres. On retrouve l’acrobatie traditionnelle marocaine avec le Groupe acrobatique de Tanger qui est venu chercher Maroussia Diaz Verbèke. Il y aura aussi le Cabaret panafricain 100 % féminin. C’est un spectacle qui devait être présenté pendant Spring. Des artistes de cirque africaines ont travaillé avec Tatiana Misio-Bongonga, la funambule qui a fait une traversée entre deux tours à Maromme. Faro Faro de la compagnie N’Soleh s’inspire de la danse africaine mêlée à un langage moderne. C’est un spectacle d’une fougue délirante et d’une puissance énergétique. Nous nous inscrivons dans cette Saison Africa 2020 qui a été décalée du fait de la crise sanitaire.