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Au 106 : Jacqueline Caux et ses « Bad Girls »

jacqueline-cauxIl sera surtout question de liberté lors de cette conférence. Jacqueline Caux est une femme passionnée, une militante qui n’a cessé de défendre le droits des femmes et les cultures du monde. Ecrivain, cinéaste aux yeux rieurs, elle a réalisé des documentaires sur les musiques électroniques et ses plus illustres figures, aussi sur les musiques arabes. Dans ce domaine, elle s’est notamment intéressée aux femmes musiciennes, chanteuses qui se battent pour vivre de leur art. A voir absolument Si je te garde dans mes cheveux, projeté lors des Regards sur le cinéma du sud en 2014. Jacqueline Caux revient jeudi 12 mars au 106 à Rouen pour évoquer les « Bad Girls » des musiques arabes.

 

Dans cette conférence, vous explorez un autre territoire musical.

Absolument. C’est un territoire qui fait partie de ma vie depuis longtemps. J’ai beaucoup voyagé dans les pays arabes. J’ai voyagé aussi à travers les musiques et les littératures. En 1984 et 1985, nous avions organisé avec Patrice Chéreau deux festivals de musique arabe avec 25 concerts et 300 artistes. Aujourd’hui, je pense qu’il est nécessaire de parler autrement de ces cultures, de ces artistes détenteurs de subtilités, de douceur, de talent. C’est un acte politique.

 

Vous avez choisi de parler des femmes.

Ce sont ces femmes rebelles qui refusent les diktats de la religion, les règles imposées par leur famille, les gouvernements. Elles affirment leur féminité sans voile, leur talent. Elles ont une démarche courageuse qui m’émeut. Je veux leur rendre hommage, servir de passeur afin de faire connaître leurs cultures, de les faire aimer.

 

La première Bad Girl a vécu au VIIIe siècle.

Je parle de ces femmes depuis le VIIIe siècle. En 750, Djamila était esclave et avait le droit de chanter devant les hommes. Ce qui est normalement interdit. Mais son statut d’esclave le lui permet. Cette femme exceptionnelle a chanté en divers endroits, donné des cours de chant. Elle est partie de Médine à La Mecque pour organiser trois jours de musique. Elle avait des mécènes. Au XIe siècle, à Cordoue, la princesse Wallada refusait le voile, écrivait des poésies érotiques. Elle avait brodé sur le bord d’un manche de son vêtement : mon baiser est à qui le veut. Plus près de nous, il y a eu Oum Kalthoum. Son père, imam, l’habillait en garçon, pour qu’elle puisse chanter. Aujourd’hui encore, la lutte est constante. Les femmes revendiquent des choses qui éveillent. Je les associe aux chanteuses de blues qui partageaient leur difficulté émotionnelle, amoureuse, quotidienne.

 

Où ces femmes trouvent-elles leur force créatrice ?

C’est difficile de réponse à cette question. Chaque histoire est unique. La force de ces femmes, ce doit être leur caractère. Ce sont aussi des artistes. La musique est donc vitale. Sans elle, je ne sais pas où serait leur vie.

 

Comment ces femmes intègrent-elles le contexte politique ?

C’est difficile pour elles. Cela fait partie de leur lutte au quotidien. Elles sont en total désaccord avec toutes les violences. Leur souhait : chacun doit pouvoir choisir sa route. Elles restent très préoccupées par le statut des femmes dans divers pays.

 

Vous insistez aussi beaucoup sur le fait qu’il est essentiel non pas de parler de musique arabe mais des musiques arabes.

C’est cela que je troue aussi important de montrer. Toutes ces musiques prennent appui sur une culture très ancienne. Il y a une diversité invraisemblable. Malheureusement, chez nous, on ne donne pas les clés pour accéder à ces musiques, pour se familiariser avec elles. Il est ainsi impossible d’en percevoir toute la richesse et toute la beauté. C’est du racisme culturel.

 

Quels albums pourriez-vous recommander ?

Il y a Anta Oumri d’Oum Kalthoum, Harramt Ahebbak ou Ala Ayni ou Classics de Warda Al Jazaïria, Nouar de Cheikha Rimitti, L’âme du Luth de Waed Bouhassoun, Nhaoul’ de Kamilya Jubran. On peut ajouter le DVD Love and Revenche d’Asmaham et le livre de Houria Abdelouahed, Figures du féminin en Islam.

 

Etes-vous une « Bad Girl « ?

Je ne pourrais pas le dire. Je suis une femme indépendante. Je réalise des films. J’en ai fait 10 en 12 ans. C’est une forme de résistance. J’ai la chance d’avoir encore de l’énergie alors je l’utilise.