Après un récital pendant Les Musicales de Normandie cet été 2020, une production lyrique à l’Opéra de Rouen Normandie… Adèle Charvet, mezzo-soprano aux multiples talents, revient dans Pelléas et Mélisande de Debussy et endosse pour la première fois le rôle de la jeune femme à la chevelure étincelante, au passé inconnu et amoureuse du demi-frère de son mari,. Elle l’interprète avec beaucoup de sensibilité. Trois représentations de Pelléas et Mélisande sont programmées à partir de ce vendredi 22 janvier au Théâtre des Arts sans public. La dernière, mardi 26 janvier, sera diffusée sur les réseaux sociaux. Entretien avec Adèle Charvet
Que représente ce rôle de Mélisande, pour vous ?
C’est un rêve pour une jeune chanteuse, une sorte d’Everest d’interpréter ce rôle. La musique de Debussy est absolument vertigineuse. J’ai l’impression d’avoir compris une petite partie de cette œuvre. J’espère que ce rôle m’accompagnera pendant toute ma carrière.
Pourquoi est-ce une montagne à gravir ?
C’est une montagne tout d’abord par sa longueur. Mélisande est un rôle présent presque dans la totalité de l’œuvre. Il est très long. Cet opéra de Debussy est aussi truffé de caractères symboliques, dans le livret et dans la musique. Il y a donc plusieurs interprétations possibles. Les choix sont orientés par la mise en scène. Il y a enfin cette question du parler-chanter, important pour Debussy. Je me suis tenue à faire ressentir le texte.
Pierre Dumoussaud le disait aussi. Cette œuvre garde de nombreux mystères.
Nous avons chaque jour des sortes d’illuminations. Pelléas et Mélisande est une matière musicale impalpable. Debussy a composé une musique flottante parce que son idée était d’accompagner la parole.
Comment avez-vous abordé ce rôle de Mélisande, une femme qui porte un passé douloureux ?
Mélisande est extrêmement traumatisée dès le début. Maeterlinck a aussi écrit Barbe Bleue. Une des six femmes de Barbe Bleue s’appelle Mélisande. Même s’il l’a écrit après Pelléas et Mélisande, j’ai imaginé qu’elle a pu s’enfuir du château de Barbe Bleue. Elle est partie après avoir été violentée par un homme. J’arrive sur scène avec cette image en tête. Dès la première scène, le traumatisme est palpable. Elle réagit comme un animal apeuré. C’est cependant un personnage que l’on peut faire partir dans tous les sens. Elle peut être aussi une manipulatrice.
Est-elle la seule à subir les choses, comme un lourd passé, un homme autoritaire, une grossesse ?
Je pense que tous les personnages subissent énormément. On ressent le poids du pouvoir que porte Arkel. Il ne veut pas passer la main de ce royaume qui tombe en décrépitude. Geneviève, la mère, est là, comme une pièce rapportée, depuis quarante ans et « moisit » avec le royaume. Golaud est victime de sa propre jalousie et subit aussi. Il est parti parce que son père lui a demandé de se marier avec Ursule. Or, il croise Mélisande dans la forêt. Pelléas subit la noirceur de ce royaume et cherche la liberté et la lumière. Il la trouvera avec Mélisande.
Est-ce sa jeunesse qui empêche Mélisande d’aimer Golaud ?
Golaud a une sorte d’attraction inévitable pour Mélisande. Cela aurait pu être quelqu’un d’autre. Elle est sa lumière. Mélisande se laisse alors porter par Golaud quand il emmène au château. Elle est égarée dans la forêt et il la sauve. Mais elle n’a jamais été amoureuse. Elle va trouver la lumière avec Pelléas. Elle le dit : elle a peur du noir et du froid. Pelléas aussi.
Elle peut aussi se montrer espiègle. Elle ne répond vraiment jamais aux questions de Golaud.
La dimension manipulatrice peut être là. En effet, elle répond toujours à côté. Parfois elle ment. Mélisande est très jeune. Comme tous les enfants qui veulent se défaire d’une situation embarrassante, ils inventent. À l’acte 5, alors qu’elle va bientôt mourir, Golaud lui demande de dire la vérité. Mais Pelléas et Mélisande ne sont pas coupables. Il y a eu juste un baiser. Cette union n’a pas été consommée. C’est un amour d’enfants. Son passé douloureux influe sur toutes ses prises de paroles.
La voyez-vous comme une figure onirique avec ses très longs cheveux ?
Oui, elle l’est et cela est souligné dans la mise en scène. Elle a un côté un peu magique.. Pelléas et Mélisande est une sorte de couple maudit, comme Tristan et Iseut. Mais c’est un couple qui s’accepte dans la mort. Mélisande reste un personnage complexe, difficile à cerner. Elle est tantôt une enfant, tantôt une femme.
Avez-vous beaucoup lu pour cerner ce personnage ?
Oui, je me suis beaucoup documentée. J’avais envie de saisir aussi le contexte de la création de cette œuvre. Les rapports entre Debussy et Maeterlinck ont été houleux. J’ai l’impression d’être qu’au début de cette exploration. J’espère reprendre le rôle de Mélisande qui grandira avec moi.
À l’Opéra de Rouen Normandie, le spectacle enregistré et diffusé en live. Est-ce que cela nécessite un travail particulier ?
L’enregistrement et le live, c’est très difficile. Le micro ne souffre aucune imperfection. Et nous n’avons pas la gratification de chanter devant le public. Nous sommes cependant très heureux d’aller au bout de cette production et formons un cast qui fonctionne bien.
Comment avez-vous travaillé votre voix depuis le début de l’épidémie ?
Lors du premier confinement, je me suis retrouvée un peu démunie. Au début, je n’ai pas chanté. J’étais dans l’impossibilité totale de me projeter. Je me suis rendue compte que j’avais beaucoup de mal à travailler quand je n’ai pas de but précis. Je n’aime pas faire de la musique toute seule. Ce que j’aime, c’est chanter avec des partenaires pour un public. J’ai beaucoup travaillé ma voix parce que j’ai beaucoup de prises de rôle. Celui de Mélisande demande beaucoup d’énergie. Il est difficile à se mettre en mémoire.
Infos pratiques
- Trois représentations sans public vendredi 22, dimanche 24 et mardi 26 janvier au théâtre des Arts à Rouen
- Captation et diffusion en direct mardi 26 janvier à 20 heures sur le site de l’Opéra de Rouen Normandie et ses réseaux sociaux (Facebook et Youtube) et sur La Chaîne normande
- Enregistrement les 24 et 26 janvier par France Musique pour une diffusion ultérieure
- Lire aussi les interviews de Pierre Dumoussaud qui dirige l’orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie et de Jean Teitgen qui tient le rôle d’Arkel
- photo : Alice Pacaud